EDUCATION

L’éducation en Haïti et les droits des enfants entre le marteau et l’enclume

« L’éducation est une arme puissante pour faire évoluer les mentalités et transcender les différences… » Alexandre Dumas Fils.

L’école haïtienne depuis plusieurs années semble prise en tenaille par la situation sociopolitique du pays qui ne cesse de se dégrader. D’ un côté, par la paupérisation qui entraîne la précarité des parents accablés par la flambée des prix et le chômage. De l’autre côté, par les luttes politiques, l’insécurité et la guerre entre des gangs rivaux occasionnant de nombreux déplacement, empêchant du coup, toute tentative de rentrée des classes, et la possibilité de boucler les années académiques. C’est dans ce contexte plus que difficile, qu’ une controverse s’est installée au sein de la société haïtienne, sur la rentrée des classes qui fut renvoyée à plusieurs reprises. Faut-il ouvrir les portes des écoles dans les conditions actuelles? Selon un groupe de citoyen, toute profession confondus, l’école doit demeurer fermée jusqu’ à ce que les conditions permettant aux parents de trouver les moyens économiques et une situation sécuritaire favorable s’installe. Pour l’autre groupe, l’école dans n’importe quelle condition et situation doit demeurer ouvert accessible aux enfants.
Étant enseignant, il est important de prendre part à cette controverse. Ainsi, notre objectif consiste à faire progresser les débats sur l’ouverture des classes, et apporter une contribution aussi peu qu’il soit sur la question. De ce fait, nous nous sommes donnés comme objectif d’aller voir à travers l’histoire récente, comment la question d’accès ou l’ouverture des classes lors des périodes de troubles fut posée dans d’autres sociétés et comment les sociétés en questions se sont elles proposées, pour préserver l’accès à l’éducation aux enfants?

La réponse à cette interrogation comprendra trois parties. La première concerne le droit à l’éducation en haïti face au contexte socio-économique délétère, la seconde, sur la problématique du temps scolaire face à l’instabilité politique chronique qui sévit dans le pays, au final, pour répondre la question principale, c’est à dire voir à travers l’histoire récente, comment certains pays en guerre et pendant la COVID19 ont gérés la question d’accès à l’éducation.

I-Le droit a l’éducation en Haïti, face au contexte sociopolitique délétère.

L’école, établissement dans lequel est donné l’enseignement collectif général aux enfants d’âges scolaire et préscolaire. C’est le lieu par excellence de la transmission du savoir, on lui revêt une importance capitale. Chaque société en ce sens possède son école à travers laquelle on socialise, éduque et forme les futurs citoyens dans le cadre de la recherche du progrès et le vivre ensemble. En Haïti, les constitutionnalistes haïtiens ont toujours été généreux, quand il s’agit des droits des enfants haïtiens à l’éducation. Depuis la constitution de 1801 de Toussaint en passant par la constitution impériale de 1805 qui, dans son article 19 prescrivait une école dans chacune des six divisions militaire de l’époque celle de Christophe, de la république de l’ouest 1816 et toutes les constitution du 19e et 20e siècles, y compris la constitution 1987 ont conservés ce droit dans ses articles 32, 32.1 et 32.2.

De plus, la Convention Internationale Relative aux Droits de Enfants (CICE) signée par l’Etat haitien en 1994 reconnaît elle aussi le droit de tous les enfants à l’éducation. Les articles 28 et 29 de ladite convention, reconnaissent l’éducation comme un droit à chaque enfant sur la base de l’égalité des chances. Son article 28 garantit la gratuité de l’enseignement primaire obligatoire pour tous, la gratuité progressive de l’enseignement secondaire qui devrait en tout état de cause être disponible et accessible à tous, et l’accessibilité à l’enseignement supérieur en fonction des capacités. Il énonce l’obligation de l’État de prendre des mesures concernant la fréquentation scolaire. Elle encourage la coopération internationale en matière d’éducation, en particulier l’élimination de l’analphabétisme et la favorisation de l’accès aux connaissances scientifiques et techniques. Son article 29 définit les objectifs de l’éducation et reconnaît également la liberté des parents de choisir le type d’éducation qu’ils veulent donner à leurs enfants et la liberté de créer et de diriger des établissements d’enseignement, conformément aux normes minimales fixées par l’État.

Malgré tout, l’Etat haïtien pour plusieurs raisons, n’est pas encore parvenu à respecter ses prérogatives dans sa totalité. Toutefois, les parents haïtiens soucieux de l’éducation dès leur enfant ont beaucoup sacrifier pour pouvoir assurer à leur progéniture un avenir meilleur. En ce sens, les parents haïtiens ont pris en charge presque tous les frais scolaires, dans un système où l’État fournit seulement 30% de l’offre scolaire. Certains experts estiment que les trois quarts des ressources des parents haïtiens sont dédiés à l’éducation de leur enfant.

Malgré tous ces sacrifices consenties, d’autres problèmes conjoncturels liés au contexte empêchent l’école haïtienne de fonctionner, privant ainsi des milliers enfants et jeunes leur droit à l’éducation. Selon UNICEF dans un article publié 5 mai 2022, 500 000 enfants ont perdu l’accès à l’éducation en raison de la violence liée aux gangs. Près de 1 700 écoles sont actuellement fermées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Et, dans le même contexte, selon l’Organisation pour les migrations (OIM) 9 000 personnes ont été déplacées de Croix-des-Bouquets, Tabarre, et de Cité Soleil toujours en raison de l’insécurité.

II- La problématique du temps scolaire en Haïti face à l’instabilité politique chronique.

Face à cette situation, le temps scolaire en Haïti, ne cesse de diminuer. Durant les dernières décennies qui se sont écoulées, l’éducation en Haïti à traverser des moments extrêmement difficiles. En dehors de la perte de ses personnels qualifiés et compétents, les problèmes de matériels, les problèmes d’aménagements des espaces scolaires répondant aux normes établies, les problèmes et de l’ insécurité alimentaire et physique, pour ne citer que cela.

De plus, depuis trois années, la situation s’est compliquée davantage en raison de la montée d’une nouvelle forme de protestation appelée à raison Lòk, caractérisée par une arrêté sur des mois de toutes les activités du pays. Ce qui oblige des tâtonnements dans la date d’ouverture des classes. Selon le communiqué du Ministère de l’Éducation Nationale de la Formation Professionnelle (MENFP), publié à la suite d’un Conseil de Gouvernement, le 26 août 2022, portant, entre autres, sur la rentrée scolaire. Il précise que, le nouveau calendrier scolaire 2022-2023, avec les nouvelles dates clés à retenir pour la nouvelle année académique, sera publié « sous peu »

Mais le climat de terreur entretenue, en toute impunité, par les gangs armés, la persistance de la rareté des produits pétroliers et ses conséquences sur les tarifs des transports publics ainsi que la détérioration accélérée des conditions socioéconomiques globales, de nombreux parents avaient émis des doutes pertinents sur l’éventualité d’une réouverture des classes, le 5 septembre 2022. D’après les dirigeants, la date de la réouverture pour pouvoir améliorer le sort des parents et ils ont choisi le 3 octobre 2022. La date en question arrive la situation s’empire encore plus, après avoir reporté la rentrée des classes au 3 octobre 2022, le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) dit prendre en considération les appels des institutions éducatives et divers secteurs qui réclament un meilleur climat sécuritaire capable de favoriser la réouverture.Par conséquent, cette année 2022 déjà ,sera comme les années précédentes, troublée pour les élèves, les parents, le personnel en éducation et même le MENF.

Ce qui en résulte, de grande conséquence sur la formation du jeune écolier haïtien. Non seulement à cause de l’inégalité que cela crée entre les enfants du pays et aussi par manque a gagner de l’écolier haitien face à son homologue dominicain ou caraibéen. Si on se tient au théorie de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron,selon laquelle, l’école serait avant tout une instance de reproduction sociale, oú les inégalités sociales sont transformées en inégalités scolaires et deviennent ensuite des inégalités sociales à la sortie du système scolaire. Vu dans cette perspective, l’écolier moyen haïtien serait double voir triplement victime de ce système éducatif quasi non fonctionnel pendant une bonne partie de l’année.

III- L’École pendant la première et la seconde guerre mondiale

Matthieu Devigne, dans l’ouvrage,  » L’école des années noirs » parle de l’expression de « classe de guerre »  L’auteur emploie cette expression pour souligner le fait que, face à tout événement historique, les contemporains partagent le désir de tirer des enseignements, des pratiques plus ou moins improvisées mises en place pour contourner les contraintes et les vicissitudes qui bouleversent l’organisation sociétale. Que malgré différents événements qui peuvent affecter les sociétés, il faut avoir un regard spécial sur certains organes des sociétés, comme l’école, les hôpitaux. Selon l’auteur, l’École comme institution fait figure de constante vitale au sein de toutes sociétés. C’est pourquoi il demeure tout à fait exceptionnel qu’un gouvernement se résigne à la fermeture des établissements scolaires.

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Pendant le grande Guerre, en France dès le 17 juin 1940, alors que l’armistice n’est pas encore signé, un service scolaire minimum est assuré dans chaque arrondissement et chaque commune de la banlieue parisienne. Partout où l’école a été interrompue par l’offensive allemande, les services académiques travaillent à l’ouvrir les établissements dans le courant du mois de juillet. Pour le dire avec les mots d’aujourd’hui, les services de l’Éducation nationale assumaient leur mission de service publique.

Dans les communes peu exposées, la vie scolaire se passait normalement, pour celles qui étaient moyennement exposées aux bombardements, les horaires de cours étaient réduits, tout comme les effectifs, puisque l’on constituait des classes de 12 élèves. Dans les zones urbaines fortement exposées, les établissements étaient tout simplement fermés. On tendait à répartir les élèves dans d’autres établissements et parfois l’école était même déplacée dans des camps scolaires. On faisait l’école en plein air dans des centres de vacances. Par ailleurs, c’est en 1939, après l’entrée en guerre, que l’État crée à la hâte un service d’enseignement à distance par correspondance et radio, aujourd’hui ça pourrais réaliser vis à l’internet pour l’enseignement secondaire. Celui-ci est conçu comme temporaire, mais le régime de Vichy reprend cette politique à son compte en la structurant.

Il arrive un moment où on fait des écoles en plein air. Parce que l’école occupe une place centrale car elle porte le souci et l’ambition du pays concerné pour sa jeunesse. Il faut bien saisir, même qu’au temps de la guerre l’école est au centre des réflexions, et les concernés cherchent par tous les moyens d’assurer un minimum d’enseignement. En dehors des exemples français, d’ autres pays ont su organiser l’école malgré les contraintes autres que les guerres,plus récemment, plusieurs pays ont tiré leur épingle du jeu pendant la covid.

IV- L’école pendant la COVID19

La COVID19, maladie infectieuse due au virus SARS-CoV2. a semé la panique dans le monde. Par rapport à la gravité et l’extrême contagiosité de cette maladie, qui dans un laps de temps est passé au stade de pandémie. Cette dernière aura pour conséquence la cessation de presque tout activité l’économie mondiale, et autres, l’école y compris.

L’école durant cette crise sanitaire fut très compliquée. Non seulement par rapport à l’extrême contagion de la maladie qui obligeait chacun à prendre sa distance. Mais aussi, par rapport à un ensemble problèmes inhérents à certaines régions du globe, comme par exemple: accès à l’électricité et le problème de connexion d’internet pour certains pays, empêche la pratique qu’on mettait à l’œuvre c’est-à-dire des cours à distance était très difficile.

Dans certain pays, une fois par semaine des instituteurs se rendent dans les foyers pour soutenir les enfants dans leur scolarité. Mais, l’année l’année 2020 laissera dans la mémoire de la plupart des élèves le souvenir indélébile d’une enfance et d’une scolaire bouleversées, elle aura marqué aussi la vie des enseignants, contraints de s’adapter rapidement, de redoubler de créativité et d’assumer de nouvelles responsabilités. Car, la pandémie a exacerbé la crise des apprentissages et ses conséquences sur le capital humain de toute une génération d’élèves risquent de perdurer.

En avril 2020, 94% des élèves de la planète, soit 1,6 milliard d’enfants n’allaient plus en classe à la suite de la fermeture des écoles. Les enfants sont particulièrement victimes de cette situation, car la pandémie aggrave les disparités existantes en matière de nutrition, de santé et de stimulation, et des services d’aide à la petite enfance, trop souvent négligés dans la réponse à la crise sanitaire. Alors malgré la pandémie cela a considérablement perturbé notre quotidien.
De ce fait, pour faire avancer les choses, ils sont obligés de dispenser des cours en ligne. Certaines écoles exigent le port des masques, le port des vêtements de protection, etc,dans l’objectif d’ atténuer les conséquences liées à la contamination. Certainement, ce modèle faisait problèmes surtout pour les pays dite du Sud. Puisque pour faire une éducation à distance cela demande un niveau infrastructure plutôt élevé. Spécialement l’électricité, le modèle d’aménagement des espaces scolaires et la connexion internet. Malgré tout certaines écoles surtout les pays du sud voir même Haïti quoique minime sont arrivés à faire fonctionner les écoles et faire une brèche dans la façon d’enseigner dans le pays qui n’ arrive pas à divorcer de l’archaïsme.

Somme tout, les controverses autour de l’ouverture possible des classes en Haïti ne cesse d’alimenter les médias. Politique, journaliste, enseignant, avocat, économiste, tous ont mis leur mots sur la question. D’autres positions plus politiques, pointe du doigt les responsables politiques et rejette les fautes sur le gouvernement actuel qui a son tour accuse l’opposition et des hommes d’affaires insatisfaits. Au lieu de pointer du doigt, ne serait-il pas mieux de trouver un minimum de consensus sur la question scolaire en Haïti ?

De plus, Il serait dans l’interêt du pays de se mettre d’accord sur la question scolaire a defaut d’ une consensus sur les problemes politiques. Car, en déclarant l’école hors la loi dans la société, nous diminuons de plus en plus la chance de voir un jour notre cher Haïti divorcer avec l’ignorance et la pauvreté. Déjà, la délinquance juvénile nous conduit dans une société en proie au banditisme.

En ce sens, nous voulons faire un appel aux citoyens du pays. Nous avons une histoire en commun, un bien en commun qui est Haïti. Malgré les différences qu’on pourrait avoir sur n’importe situation donnée, il faut se rappeler qu’Haïti, les enfants et l’école doivent être au dessus des clivages et sensibilités politiques. Le Ministère de l’Education Nationale de la Formation Professionnelle (MENFP), les différents ministères du pays qui travaillent dans le domaine de sécurité, les personnels éducatifs, les différentes organisations nationales et internationales qui travaillent dans le domaine de l’éducation, dans le domaine des droits des enfants, les parents, unissons-nous comme un seul homme pour la cause de l’éducation, pour une école au-dessus de la mêlée.

Si la situation se prolonge, comment les jeunes d’aujourd’hui seront-ils en mesure de prendre la relève demain ? Quel serait l’outillage intellectuel de l’adulte haïtien en 2050 ? Les enfants qui ont subi toutes sortes de maltraitance? Les jeunes dont les droits sont bafoués ?

Documents consultés :
1-Convention Internationale Relative aux Droits de l’Enfant (CICE)
2-J.J. Rousseau, Emile ou de l’Education, livre II, paru en septembre 2009.
3- Jean-François, Condette (dir), Les Ecoles dans la guerre. Edition, Villeneuve d’Ascq, 2014, p.550.
4-Victor De Sepausy, Révolution école : histoire d’une éducation nouvelle de l’entre Deux Guerres, publier 09-08-2016 a 08 :24. Consulté sur actualite.com, 20 octobre 2022 à 14heures.
5-manageduc.fr, Le retour à l’école en temps de crise : l’exemple des guerres mondiales. Consulté le 21 octobre 2022.
6- l’Education à Haïti, sur globalpartenership.org
7-Alain Bentolila, Léon Gani, Langues et problèmes d’éducation en Haïti, 1981, p.117-127.
8-Magdala, Jean-Baptiste, Océnia Pompy Benjamin, Bellita Bayard, La crise de l’éducation scolaire et le phénomène de l’insécurité en Haïti, 10 juin 2022.
9-Bourdieu, Pierre, l’école conservatrice : les inégalités devant la culture. Revue française de sociologie, VII.
10- Joachim, D. Le transport est de piètre qualité en Haïti, dans le nouvelliste, 2015.
11-Pierre, Samuel, construction d’une Haïti nouvelle. Vision et contribution du GRAHN, Montréal, Presses internationales Polytechnique, 2010.
12-Moisset, Jean, « Education et développement en Haïti : quelques réflexions et pistes d’actions », Colloque sur l’économie de l’éducation, Port-au-Prince, Association haïtienne des économistes (AHE) et ministère de l’éducation nationale de formation professionnelle (MENFP), 2006.
13-Laval, C. Les deux crises de l’éducation, dans la revue du MAUSS 2006/2
(No28) HYPERLINK « https://www.cairn.info » https://www.cairn.info
14- https://www.banquemondiale.org/fr/news/immersive-story/2021/01/22/urgent-effective-action-required-to-quell-the-impact-of-civid19-on-education-worldwide?cid=SHR_SiteTweetable_XX-EXT
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Mackenson MAULINE, normalien supérieure, enseignant, journaliste et Historien de formation.
mackensonmauline@gmail.com

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