EDUCATION

DISCOURS DU DIRECTEUR SORTANT DU LABORATOIRE LADIREP

Port-au-Prince, le 18 décembre 2023

Monsieur le Recteur,
Chères et chers collègues,
Chères et chers invité/es,
Mesdames, messieurs,

Je me réjouis de l’évènement du jour. Mais quel est son sens ? De quoi est-il le nom ? A l’instar de mon collègue Edelyn, je pourrais dire que nous n’avons peut-être pas le concept de cet évènement. Car, il ne s’inscrit pas dans une tradition, dans une histoire institutionnelle.

Or, c’est justement la raison pour laquelle c’est un évènement au sens fort du terme. Ce qui se passe aujourd’hui marque une rupture dans l’ordre des choses. Cela tranche avec ce qui nous arrive en général.

Dans ce pays où l’alternance politique n’est pas instituée, on ne dirait pas que c’est l’idée, le concept d’une transition qui a fait son chemin. C’est bien – dans l’esprit de l’intervention de Edelyn Dorismond à la dernière séance du séminaire du laboratoire — un exemple, voire le contre-exemple d’une transition qui réussit.
Il se trouve que dans le laboratoire, le principe d’alternance a été mis à mal pour bien des raisons (On en parle plus bas). Aujourd’hui, l’ordre institutionnel est restauré. La continuité institutionnelle est maintenant assurée.
Mais quelle est cette forme institutionnelle que représente le laboratoire LADIREP dans le paysage universitaire haïtien ?

LADIREP ce n’est pas une simple association de collègues universitaires. C’est une structure qui, sous la tutelle administrative de l’université, conditionne le travail des chercheurs tout en leur assurant la liberté et l’autonomie académique.
LADIREP est un modèle de structure universitaire qui permet à des collègues chercheurs d’un même établissement de mettre en commun leurs actions de recherche. Dans le contexte haïtien, la formation de laboratoires est absolument nécessaire pour assurer la professionnalisation de l’activité de recherche.

La seule difficulté qui se présente à nous, dans ce processus de professionnalisation du métier de chercheur, du métier d’enseignant-chercheur, c’est que les activités de recherche ne sont pas vraiment reconnues dans notre état de service à l’université, dans notre plan de carrière, dans notre statut de « professeur », si on peut vraiment utiliser ce gros mot de « statut ».

Cette non-reconnaissance a pour première conséquence le fait que les activités de recherche ne sont pas rémunérées.

Je profite de l’occasion pour reprendre une opinion que je martele à chaque fois que je participe à une réunion de conseil à l’UEH : Il n’y aura pas d’engagements significatifs de l’UEH dans la recherche sans les conditions salariales qui doivent marcher avec cela. A l’UEH, on paie les professeurs seulement pour enseigner. Les travaux de recherche et d’encadrement d’étudiants ne sont pas rémunérés. Cela arrive que des professeurs vacataires soient directeurs de mémoires.

Il nous faut mettre en place les mécanismes de rémunération des activités de recherche. Pourquoi cela est-il nécessaire ?

Nulle part, ici comme ailleurs, on ne finance les salaires des professeurs sur des projets de recherche. Un mythe avait fait son chemin à l’UEH. D’après ce qu’on raconte, le chercheur qui monte un projet de recherche touche automatiquement 10% du budget du projet. On dirait des commissions.

Rien de plus fausse qu’une telle affirmation ! Si cette pratique existe bel et bien dans les ONGs, elle n’est pas courante dans les universités. Sinon, on confond les études commanditées par des organismes (nationaux ou internationaux) avec des projets de recherche.

Un membre permanent du laboratoire LADIREP, Odonel Pierre-Louis, est porteur pour l’UEH et le laboratoire d’un programme de recherche financé par le Gouvernement allemand, le Global Partnership Network (GPN), en français le Réseau de Partenariat Global. L’agence gouvernementale qui finance la recherche et l’enseignement supérieur en Allemagne, le DAAD , en français l’Office allemand d’échanges universitaires, interdit strictement à tout professeur titulaire de toucher un penny sur l’enveloppe budgétaire de ce programme. Cet interdit est valable non seulement pour les professeurs allemands de Kassel University, mais aussi pour les professeurs indiens, sud-africains, sénégalais, burkinabés, haïtiens, etc. qui participent au programme.

Tout cela c’est pour dire que l’UEH a intérêt à payer, à donner des primes à des professeurs qui montent des projets de recherche qui sont financés. C’est le moyen le plus sûr pour augmenter le budget de l’UEH. « Lajan al jwenn lajan », « se kòb n ap mete deyò pou fè kòb rantre nan inivèsite a ».

Somme toute, par-delà le détail que représente ce problème de rémunération, la question fondamentale à laquelle doivent s’adresser tant les dirigeants du Rectorat de l’UEH que ceux de l’État haïtien reste et demeure la définition (l’établissement ou la création) à l’Université d’État d’Haïti du statut d’enseignant-chercheur avec tout ce qui va avec cela. C’est vraiment la décision ultime à prendre pour engager définitivement l’université dans la recherche.

Le laboratoire LADIREP est fondé en 2013, cela fait 10 ans, dans la foulée du colloque international de 2012 que je compare souvent avec la grande messe intellectuelle qui avait été dite à Port-au-Prince en 1956 pour célébrer les quatre-vingts ans de Price-Mars.

Je suis arrivé à la direction du laboratoire en juin 2015. Mon mandat devait prendre fin en 2018. Entre 2018 et 2019, j’ai dû m’absenter une année du pays. La direction du laboratoire a été assurée ad intérim par notre collègue Lenz Jn François. J’ai repris la direction pour relancer les activités et assurer le renouvellement du Conseil et de la direction du laboratoire.

Depuis lors, j’étais engagé dans une démarche visant à ré-instaurer au sein du laboratoire le principe d’alternance mis à mal par les différents peyi lòk, la covid 19 et bien d’autres aléas… Les collègues trouvaient toujours un bon prétexte lié aux aléas évoqués pour ne pas renouveler le Conseil du laboratoire et la direction.

A la vérité, le poste de directeur du laboratoire – très lourd et non-rémunéré — est jusqu’à date très peu enviable. Les collègues ne se voyaient pas du jour au lendemain sans préparation aucune ni transition à la tête du laboratoire.

Lire aussi:  INTERVENTION DU RECTEUR DE L’UEH AU LANCEMENT DES ACTIVITES DE SENSIBILISATION SUR LA PROBLEMATIQUE DE L’EAU

Donc, le combat à mener n’était pas juste une affaire d’élection. Il fallait engager tout un processus de re-institutionnalisation du laboratoire. Cela passait par l’amendement des statuts et tout un travail de plaidoyer auprès des dirigeants de l’Université d’État d’Haïti afin d’avoir leur appui pour engager le travail de renforcement structurel du laboratoire et de les sensibiliser sur la nécessité de rémunérer les activités de recherche.

On a gagné une première manche de ce combat, seulement l’an dernier, 2022, avec l’amendement des statuts. L’Assemblée Générale du laboratoire, en votant cet amendement, a acté le modèle d’alternance propre à certaines associations académiques d’Amérique du Nord que j’avais proposé. Il s’agit de désigner un directeur adjoint au suffrage direct avec droit de succession automatique au Directeur. Dans la mesure où l’on ne se retrouve pas dans des situations de vacance de poste pour les deux dirigeants, ce modèle demeurera très fiable. Il permettra la continuité institutionnelle et nous évitera des dissentions internes.

Par-delà ce dispositif légal qui devrait faciliter l’alternance, le laboratoire a voulu se doter de tout un appareil administratif qui permet d’alléger la fonction de directeur du laboratoire. Je peux très bien témoigner que cette fonction de Directeur de laboratoire n’est pas une sinécure. Mais la tâche devient d’autant plus lourde quand le directeur ne dispose ni d’un secrétariat, ni d’un personnel qui y est affecté exprès, ni d’aucun cadre technique.

Les démarches menées dans la foulée des réformes statutaires nous ont permis d’obtenir du Conseil Exécutif de l’UEH :

1) La reconnaissance comme charge administrative additionnelle du travail du directeur du laboratoire (par l’attribution d’indemnités à ce responsable) ;
2) La possibilité de recruter un/e assistante administratif/ve ;
3) La possibilité de recruter un/e coordonnateur/trice scientifique

4) La possibilité d’attribuer des primes aux membres du personnel de la FE (ou de toute autre entité de l’UEH) qui sont mis au service ou à la disposition du laboratoire (le comptable, par exemple).

Je voudrais profiter de l’occasion pour remercier le Conseil Exécutif, en particulier le Recteur Fritz Deshommes et le vice-recteur à la recherche Dr Jacques Blaise, ainsi que le vice-recteur aux affaires académiques, qui ont bien compris le bien-fondé des démarches entreprises par le laboratoire en supportant la réforme structurelle du laboratoire que nous avons engagée.

Je voudrais remercier l’ancien Recteur Jean Vernet Henry, ici présent, qui est celui qui a initié sous sa mandature tout le processus de transformation de l’UEH en une université de recherche avec la mise en place de la Direction des Études Post-graduées (DEP) qui entraînera dans son sillage la constitution des laboratoires.

Je remercie la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) qui a maintenu cette année son appui au laboratoire. La FOKAL est partenaire de LADIREP depuis sa création, voire bien avant. La FOKAL a financé le colloque de 2012. Ce colloque qui a favorisé les conditions d’émergence du laboratoire LADIREP. A ce jour, la FOKAL est le seul organisme national non-étatique à se consacrer au financement de la recherche et de l’enseignement supérieur. L’occasion nous est offerte pour saluer l’engagement de la Présidente du Conseil d’Administration de la FOKAL, Madame Michèle D. Pierre-Louis, qui tient beaucoup au créneau de l’enseignement supérieur à la FOKAL en dépit du fait que la Fondation est impliquée dans divers secteurs de la vie nationale.

Je tiens également à remercier l’Ambassade de France ainsi que son Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) qui ont toujours offert des crédits ponctuels pour la réalisation d’activités scientifiques et autres (des colloques, des missions d’enseignement et de recherche, des projets de recherche et l’acquisition de matériels et d’équipements). Je remercie particulièrement l’Ambassadeur Fabrice Mauriès pour l’appui offert cette année pour la réalisation du dernier colloque du laboratoire et le montage de deux missions de recherche en France.

Enfin, je dois remercier l’IRD (l’Institut de Recherche pour le Développement) et son UMR, l’URMIS (Unité de Recherche Migrations et Société (URMIS) – CNRS – IRD – Université Paris Cité – Université Côte d’Azur) qui est un partenaire de longue date du laboratoire LADIREP. Avec l’appui financier de l’IRD, nous avons mis en place un de nos premiers projets structurants, le projet de recherche sur « L’ethnologie en Haïti : Faire l’histoire de la discipline pour accompagner son renouveau ». Notre partenariat avec l’IRD se poursuit encore aujourd’hui. J’ai été tout juste informé par ma collègue anthropologue Maud Laëthier que l’IRD vient d’allouer des crédits à l’URMIS pour notre prochain projet collaboratif, le projet IRN « Constructions nationales et anthropologie (à partir de Cuba et Haïti) ». C’est l’occasion de remercier notre collègue Maud Laëthier pour son dévouement à la cause de la coopération UEH-IRD et LADIREP-URMIS.
Je ne devrais pas oublier de remercier le Doyen de la Faculté d’Ethnologie, l’entité de rattachement de LADIREP à l’UEH. Le Doyen Claude Mane Das a accompagné et appuyé très fortement la Direction et le Conseil du laboratoire dans toutes ses démarches auprès du Rectorat.
Un salut confraternel et consoral à toutes/tous les membres du laboratoire, en particulier celles et ceux qui sont porteuses et porteurs de dossiers et projets de recherche.

Je n’ai donc qu’à souhaiter bonne besogne au nouveau directeur. Par le fait qu’il ait été directeur-adjoint, il a bien compris les enjeux et les défis auxquels le laboratoire aura à faire face. Je fais confiance au leadership de mon collègue

Jean Waddimir Gustinvil. Le laboratoire est en de bonnes mains.

Merci !

JHON PICARD BYRON
ANCIEN DIRECTEUR ET MEMBRE PERMANENT DU LABORATOIRE LADIREP

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