POLITIQUE

L’enlèvement de Virginie Saint-Pierre:
La vie du messager, une autre rançon sacrificielle

La politique se fait dans la boue et dans le sang, eut à dire une fois Jerry Tardieu lors de son passage en France. Il a raison : le terrain politique haïtien est occupé par des hommes trempés dans les affaires louches et cela ne date pas d’aujourd’hui. La politique n’est plus cette science qui fait appel dans sa pratique à l’intelligence, au savoir-faire et au savoir-être. Par sa brutalité quotidienne, elle éloigne les honnêtes gens.

C’est dans le but de moraliser la vie politique haïtienne que Leslie Manigat invitait les leaders haïtiens à dire, faire et concevoir la politique autrement, c’est-à-dire en ayant toujours pour boussole le bien commun. C’est uniquement de cette manière qu’elle pourra attirer les citoyens intègres.

Depuis l’assassinat crapuleux du président Jovenel Moïse en juillet 2021 dans sa résidence, nous sommes entrés dans un rythme effréné du pouvoir total, hors norme, un jeu macabre où tous les coups sont permis. Prise dans la permanence du mensonge des acteurs du chaos, la population ne sait pas à qui se vouer. Personne ne veut la vérité comme référence. L’éthique est absente.

Comme toujours, les pires actes sont commis mais la société ne sanctionne pas. Le silence complice et la timidité des hommes et des femmes de valeur d’ici et d’ailleurs expliquent ce qui est arrivé à Haïti aujourd’hui. Le vide laissé par des gens de bien, profite aux médiocres, aux corrompus et aux criminels qui tissent entre eux un lien de solidarité exceptionnelle pour le maintien de la bêtise. Ceux qui, par leur intégrité, leur patriotisme et leur compétence, pourraient tracer une voie pour Haïti, sont obligés de quitter le pays à cause de la férocité de la lutte politique. Par instinct de survie, ils préfèrent tous regarder en direction d’autres cieux. Avec cet environnement délétère qui ne profite qu’aux délinquants, Haïti va devenir encore plus pauvre à cause de la fuite en masse vers l’étranger de ses cadres professionnels.

Si la catastrophe s’invite dans notre quotidien, c’est parce que pendant longtemps nous avons hissé au pouvoir des hommes et des femmes politiques qui n’ont des idées sur rien. Ce qui compte pour eux, c’est le pouvoir et l’argent facile. Ils ne cherchent ni la vérité, ni la réalité, encore moins les intérêts du peuple. À cause de cet échec global assuré de manière alternée, d’autres têtes doivent émerger ! Quand on n’a rien à offrir, il faut avoir la pudeur de se taire ou permettre à d’autres d’ essayer.

Dans la foulée des manipulations, j’ai lu récemment un article, qui n’a pas manqué d’attirer mon imagination sur la fertilite de l’imagination de l’Haitien à faire le mal à autrui. Apparemment commandé par un certain secteur, l’auteur du pamphlet affirmait que le kidnapping du secrétaire général du Haut Conseil de la Transition (HCT), Monsieur Virginie Saint-Pierre, était faux. Pour lui, c’est une manœuvre de la victime elle même afin de déstabiliser le pouvoir de l’actuel Premier ministre au bénéfice de Mirlande Manigat qui souhaiterait terminer sa carrière politique comme présidente provisoire de la République. Pourtant, deux jours après la publication de ce papier malintentionné, le véhicule de M. Saint-Pierre volé le jour de son enlèvement, a été récupérée par la police après avoir tué sept hommes lourdement armés qui l’avaient utilisée sans succès pour kidnapper un autre citoyen.

M. Saint-Pierre a été libéré mais son chauffeur est encore retenu par les ravisseurs après avoir donné une « caution », acte consigné dans un « document » qu’il aurait, dit-on, signé.

On ne parle pas seulement de rançon mais bien de caution. Les choses empirent puisque désormais on doit se procurer ce gage sans lequel notre liberté n’est pas garantie, les hommes armés qui ont le contrôle sur tout, détiennent le pouvoir de nous « inculper ». N’est-ce pas grotesque das un État de droit ? C’est le cas de dire que la société haïtienne dans son ensemble a un statut d’inculpé. Nous sommes tous sous le coup d’une inculpation. Le choix de vivre et de rester en Haïti en ces temps-ci fait de nous des prévenus, tous pénalement responsables d’une faute sanctionnée par la loi des bandits. Nous sommes tous soumis à cette logique barbare qui prévaut en Haïti. La situation est grave! C’est un nouveau pas dans l’horreur.

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Rien n’est arrivé au hasard. Tout ceci est l’œuvre des élites sauvages qui ont régné pendant ces trois décennies sur Haïti. Une situation qui se dégrade chaque jour parce que les autorités actuelles se révèlent donc incapables de maîtriser la violence des groupes armés et de nous protéger. Or le rôle d’un gouvernement, c’est de protéger le citoyen des dangers qui pèsent sur lui.

N’est ce pas grotesque d’affirmer sans l’ombre d’une preuve que M. Saint-Pierre est responsable de son propre kidnapping ou que Madame Mirlande Manigat ourdit un complot pour renverser le Premier ministre Ariel Henry ? Nous devons donc cesser de recourir aux affabulations et aux calomnies en politique car l’omniprésence du mensonge nous détourne de l’essentiel, de la réalité et de la vérité.

De toute évidence, ce texte constitue une manœuvre criminelle dont l’objectif est de mettre en danger la vie de Madame Manigat. Avec de telles actions, le peuple finira par comprendre la supercherie dont usent un nombre d’acteurs qui cherchent à maintenir certains intérêts politiques au détriment du bien-être national.

Ce genre de pratique dépourvue de toute éthique est un mal fait à notre intelligence. Cette démarche est celle d’un crétin. Ce n’est pas ainsi qu’on consolide un pouvoir : au contraire avec de telles manipulations on ne fait que le fragiliser. Un gouvernement qu’on soutient est un gouvernement qui tombe, disait Talleyrand. La force d’un gouvernement réside dans les services que celui-ci donne à la société, affirme la sociologie saint-simonienne. Un tel gouvernement n’a pas besoin de défenseur. Le peuple en est son unique témoin. Ce qu’on attend d’un gouvernement de facto ou légitime, c’est un bilan de satisfaction à présenter au peuple auquel il doit s’accrocher pour mériter la confiance et le respect des gouvernés.

Je m’interroge aussi sur le papier à partir duquel M. Saint-Pierre s’est engagé à donner cent cinquante mille dollars pour libérer son chauffeur. Aux dernières nouvelles, l’opinion publique a appris que que le messager qui apportait la rançon a été assassiné. Un malheureux, un pauvre, une victime qui n’a rien fait pour mériter un tel supplice. Lorsqu’on assiste à une telle banalité quotidienne de la vie, on ne peut qu’être en proie à la colère et à la tristesse.

Que vaut ce faux papier résultant des contraintes exercées par les hommes armés pour obtenir le consentement de la victime? L’aveu obtenu sous la menace est un faux aveu. De même le consentement arraché dans les mêmes conditions constitue un vice de consentement. Les accords signés sous la menace de la mort quelle que soit leur forme sont réputés nuls car dans ces circonstances, le consentement n’est ni libre ni éclairé. L’engagement qu’il a pris pour lui et son chauffeur n’a aucun fondement. Cette situation dénote plutôt la grande organisation qui est à la base des actions criminelles en Haïti. De plus en plus sûrs d’eux, les gangs mettent maintenant en place un vrai système administratif.

Nous sommes dans une situation chaotique bien organisée et cela doit nous interpeller. Pour sortir de cette catastrophe dans laquelle on végète, il faut quelque chose d’extraordinaire. Cela nécessite de faire le plein des compétences à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il y a encore des hommes et les femmes haïtiens intègres, soucieux du bien public, capables de faire face à cette détresse inédite. Ils sont là prêts à servir. Il faut quelqu’un capable de rassembler toutes ces énergies, ces hommes et ces femmes de bonne volonté. La politique des coups bas et du bannissement a fait son temps. Elle nous a conduits là où nous sommes maintenant : dans le sang et la boue.

Nous devons agir maintenant pour trouver une formule politique qui permet de traiter les différends. Sinon on devrait s’attendre à un cataclysme politique dû à la gestion chaotique des affaires publiques par nos « leaders ». Quand, de surcroît, les justes revendications des citoyens sont ignorées, cela crée des frustrations et des ressentiments conduisant à une colère populaire difficilement domptable. Un mélange explosif qui pourra tout emporter. À bon entendeur salut !

Sonet SAINT-LOUIS av
Professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit et des sciences économiques de l’Université d’État d’Haiti.
8 novembre 2023
Tél : +509-44 07 35 80
sonet.saintlouis@gmail.com

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