SOCIETE

Comment mettre en sursis la mort du littéraire dans l’âme de l’haïtien ?

La vie intellectuelle et littéraire reflète toujours le niveau de développement socioéconomique d’un peuple, et les fonctions esthétiques et expressives que joue le langage dans son quotidien. Des pionniers jusqu’à l’école des indigénistes, l’homme haïtien a toujours montré ses passions pour le sublime de la vie dans ses beautés et ses laideurs, qui s’expriment dans la création des diverses formes littéraires. La littérature étant l’espace d’expression de ce que benedetto Croce appelle la quête et l’invention de la beauté, mais aussi l’espace d’expression de cette sublimation de l’horrible que Alexander Gottlieb Baumgatern nomme l’esthétique de la laideur.  Et les clubs et les cafés littéraires ne manquaient pas d’enseigne durant les années de la post-occupation américaine pour en discuter. Une tradition qui a duré longtemps, et façonner la dernière génération d’écrivains qui ont pris naissance sur la dictature de 1957. Léopold Sedar Senghor, André Breton, Nicolas Guillen, André Malraux ont visité Haïti pour rencontrer les jeunes écrivains et intellectuels haïtiens qui inspiraient leurs contemporains un mode de vie qui n’excluait point le gout de l’esthétique. Ce que les américains vivaient à New-York avec les artistes et les écrivains que Broadway recevait, est ce que les ports-au-princiens vivaient avec les artistes et les écrivains qu’ accueillaient le Rex théâtre et le théâtre de verdure sur l’habitation Leclerc. Le Rex est tombé en ruine et s’expose avec une peinture délavée qui rappelle ce carnaval de la revalorisation des patrimoines culturels haïtiens, accueillant les riverains chassés de leur maison par l’insécurité. Tandis que le théâtre de verdure a disparu de l’habitation Leclerc qui est devenu un site urbain bidonvillisé et assiégé par des gangs armés, après avoir logé une bibliothèque pour les jeunes.

Après le voyage astral de Georges Castera, de René Philoctète, de Carl Bouard,  Franketienne et Lionnel Trouillot, sont peut-être les noms de cette génération qui résonnent encore dans les corps vivants. Mais, une génération qui n’a pas créé d’écoles littéraires, mais qui animait les rencontres et les débats sur l’histoire et l’avenir de la littérature et de l’art en Haïti. Le spiralisme est un emprunt qui a nourri les œuvres de Franketienne et d’Émile Olivier. Et Saint Soleil a été une école de peinture, dont le créateur, Jean Claude Garoute (Tiga) a insufflé au poète René Philoctète le style de sa peinture. Comme Emile Zola fut influencé dans son style impressionniste,  au cours de ses rencontres avec le peintre Cezanne. Rencontres qui avaient donné naissance à « L’œuvre », roman d’expressionnisme, à côté des divers romans expérimentalistes de l’écrivain.

Plus récemment, c’est L’Atelier du jeudi soir qui symbolisait l’espoir avec le regroupement, autour de Lionnel Trouillot et de ses amis écrivains et invités, quelques jeunes universitaires et écoliers passionnés de poésie, de roman, et de philosophie sur l’esthétique littéraire, mais qui n’a pas duré pour devenir un cénacle. Le centre culturel Anne Marie Morisset qui gardait une atmosphère d’échange de gouts et de visions sur la littérature, n’a pas pu inspirer les participants à œuvrer pour instaurer une école de pensée littéraire. Le Centre Pen qui offrait ses lieux pour la résidence et des discussions littéraires rencontre des difficultés pour dynamiser ses initiatives. Et enfin la bibliothèque Pyepoudre est le seul centre culturel qui semble rester de l’horizon à offrir des activités, favorisant la rencontre entre les jeunes et les écrivains peu nombreux et les artistes qui habitent encore un pays où la vie littéraire est en agonie. Par ailleurs, Carrefour qui avait la renommée d’être un lieu de rendez-vous pour la jeunesse qui s’y rendait discuter de littérature, a changé de décor pour devenir un repère pour les amants de disco et de prostitution. La bibliothèque qu’on y trouvait, et qui portait le nom de Justin Lhérisson, auteur de La famille de Pitite Caille et de Zoune chez sa nainnaine, reste comme une vieille maison en ruine. En somme, nous pouvons dire que l’Indigénisme a été la dernière école littéraire haïtienne, créée par des écrivains comme Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis, Jean Brière, Émile  Roumère, Roussan Camille, que l’ethnologue Jean Price Mars avait inspiré par ses idées sur le folklore haïtien et la valorisation d’une esthétique négro-caraibéenne.

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Mais, comment pourraient naitre des écoles littéraires dans un pays où la violence politique ferme les portes des bibliothèques et des centres culturels et littéraires ? La bibliothèque nationale a transféré ses bureaux administratifs à Bois patate pour les faire cohabiter avec le Bureau haïtien des droits d’auteur. Ses bâtiments demeurent comme un vieux entrepôt avec les livres et les archives littéraires nationales qui se recouvrent de poussière, et qui sont sous l’éventuelle menace des incendies criminels. Et comment créer et encourager le gout de la lecture chez les jeunes, s’il n’y a pas de centres de lecture et de rencontre littéraire, des librairies publiques et privées avec des ventes subventionnées, des émissions littéraires, des festivals littéraires qui rassemblent les lecteurs, les éditeurs, les écrivains, et les mécènes d’une élite éclairée et engagée dans le développement de la culture nationale du pays où elle fait sa fortune ? Les écrivains sont plus connus et édités à l’étranger, et sont encouragés par un mécénat qui n’appartient pas à l’élite haïtienne. Tandis que les presses nationales ne possèdent pas de cellules de lecteurs et correcteurs pour l’édition des œuvres manuscrites qu’elle ne reçoit guère. Et les œuvres qu’elle réédite de la collection des œuvres classiques haïtiennes sont d’une mauvaise qualité d’impression.

La littérature est un luxe du langage, quand l’école est un lieu d’exclusion et demeure accessible aux seuls membres d’une caste. Mais, elle se fait culture que l’on se partage, quand l’école se massifie et se démocratise pour être un droit inclusif. Mais, à Pernier, à Croix des Bouquets, à Cité Soleil, à Martissant, et plus récemment à Carrefour-feuilles les écoles ont fermé leur porte, tandis que l’état a procédé au lancement officiel de la rentrée scolaire à Jérémie, la cité des poètes.

Donc, comme expression de l’âme d’un peuple, la littérature est mourante et demeure presque sans aucune expression dans l’âme de la nation haïtienne et son quotidien. Aussi, la vie littéraire doit-elle renaitre par une solution à la crise politique qui favorisera les conditions de la vie socioéconomique, garantie de la jouissance des droits scolaires et culturels de tous.

8 octobre 2023

CHERISCLER Evens

Journaliste et enseignant

Pour la renaissance de l’âme littéraire haïtienne !

 

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