Justice

Lettre Ouverte au juge d’instruction Jean-Claude Marthel

Port-au-Prince, le 30 juin 2023

Honorable Juge Jean-Claude Marthel

Juge d’instruction au Tribunal de Première instance de Port-au-Prince,

En son décanat,

Je me permets de vous adresser cette lettre pour commenter l’ordonnance que vous avez rendue en déférant les ex-sénateurs Joseph Lambert et Youri Latortue devant des tribunaux criminel et correctionnel pour faits de corruption et entrave à la justice, faits punis par le code pénal en vigueur. Je sais que vu le contexte actuel d’intolérance et de passion, ma prise de position n’est pas sans risque.

Votre décision succède à une enquête qui avait été menée par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) sur la mauvaise utilisation des fonds publics alloués au bureau du sénateur Latortue. Une majorité de citoyens haïtiens l’interprètent comme un signal fort envoyé à tous ceux qui ont – ou auront – la responsabilité de gérer les biens publics. Elle fait aussi débat dans le milieu universitaire auquel j’appartiens. C’est en effet une question d’intérêt général, de bien commun. Quand il s’agit des affaires de la république, tout le monde est légitime pour en parler mais tout le monde n’est pas compétent pour en débattre.

Il va sans dire que la corruption est un obstacle fondamental au progrès social. Elle hypothèque le développement du pays et l’avenir des générations futures. En ce sens, la lutte contre la corruption à travers les institutions destinées à cette fin et le renforcement de l’indépendance de la justice doivent être au centre de tous les combats citoyens présents et à venir. J’appuie le travail de tous les magistrats honnêtes et compétents ayant à cœur de distribuer une justice saine et équitable. Dans notre appareil judiciaire, il y en a beaucoup et vous en êtes un.

Certains diront que cette correspondance n’a pas sa raison d’être puisque l’ordonnance de clôture met fin à votre travail et que j’aurais pu produire mes critiques sous forme de commentaire d’arrêt mais j’ai choisi cette voie afin d’intéresser le plus de gens possibles à la problématique de la justice. En effet, celle-ci est entrée dans la deuxième phase de la procédure pénale au cours de laquelle les faits sont filtrés et des indices recherchés en vue d’un procès. Vous êtes donc dessaisi du dossier, j’en ai bien conscience! Cette œuvre ne vous appartient plus. Car le législateur en a décidé ainsi : celui qui poursuit n’est pas celui qui instruit et celui-ci est différent de celui qui prononce le jugement. Les trois fonctions sont séparées en vue d’assurer une plus grande équité de la procédure pénale.

Cependant, ma démarche vise à rappeler à la communauté juridique nationale et politique ce que prévoit la Constitution dans les cas de corruption des détenteurs de l’autorité étatique. Ceci est nécessaire non seulement pour agir en conséquence de cause mais aussi pour avoir des arguments dans le cadre de la réforme constitutionnelle que beaucoup de secteurs appellent de leurs vœux.

Joseph Lambert et Youri Latortue sont des ex-sénateurs, anciens membres d’un pouvoir d’État – le pouvoir législatif -, assurant avec les deux autres, l’Exécutif et le Judiciaire, l’unité de la souveraineté nationale, pour répéter Dr Josué Pierre-Louis (Voir son ouvrage La modernisation du droit haïtien un défi pour l’avenir, Ed Espérance, 2022, et aussi les articles 58 et 59 de la Const). Après le départ des Duvalier, Haïti a accouché d’un nouveau régime politique où les rapports de pouvoir ont été modifiés et les règles du jeu redéfinies. Malheureusement, ce nouveau cadre théorique est mal maîtrisé par la plupart des acteurs judiciaires, politiques et sociaux qui interviennent dans le champ du droit.

C’est pourquoi je vous invite à revisiter avec moi ce champ méconnu sur la base duquel des décisions de justice et politiques mal fabriquées sont prises avec des conséquences souvent douloureuses pour la nation. Car le traitement d’une telle affaire, un cas aussi difficile comme celui d’ex-parlementaires mis en cause pour des actes qu’ils auraient posés pendant qu’ils étaient en fonction – exige nécessairement qu’on élargisse le cadre de l’analyse au-delà du strict droit pénal qui n’offre pas de solution à ce cas d’espèce.

Ce que dit la Constitution
Le droit constitutionnel, j’aime le répéter, c’est le droit total ou global. La méconnaissance du droit constitutionnel est un réel obstacle à la connaissance de toutes les autres branches du droit. En ce sens, je trouve correcte et judicieuse cette opinion exprimée par le Doyen Georges Vedel quand il écrit ceci : “Quant aux rangs du droit constitutionnel par rapport aux autres branches du droit, il ne peut être aujourd’hui que le premier. Après être demeuré trop longtemps un infra ou un sous-droit par défaut de sanction effective de ses prescriptions au temps de la souveraineté parlementaire”. (Dominique Turpin, Droit constitutionnel, Paris 1992). Le droit constitutionnel a non seulement rattrapé les autres branches du droit mais, en même temps, les domine dans une certaine mesure. Les différentes branches du droit reposent sur des bases constitutionnelles qui déterminent leur validité.

Votre ordonnance, bien qu’elle participe à la volonté de combattre la corruption dans l’administration publique haïtienne, s’écarte des exigences du droit qui doivent appliquer aux faits de la cause. Autrement dit, elle ne prend pas en compte le cadre constitutionnel établi et je m’explique.

La Constitution, en dépit des ses failles admises, doit être acceptée comme la norme fondamentale et respectée. Ce qui me porte à relever certaines erreurs commises dans votre travail. À cette fin, je me réfère à quatre textes:

La Constitution de 1987 considérée comme la “norme supérieure” selon la perspective positiviste.

Le décret de 2004 créant l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC)

La Loi de 2014 sur la répression et prévention de la corruption

Les règlements du Sénat de la République.

L’examen de ces quatre textes m’amène à faire les remarques et observations suivantes, lesquelles vont faire surgir trois questions spécifiques:

L’administration publique haïtienne s’étend-t-elle à l’administration du Sénat et de la Chambre des députés?

Le Directeur de l’ULCC a-t-il juridiction sur les actes de gestion posés par les bureaux du Sénat et de la Chambre des députés, autrement dit, peut-il porter son enquête sur les activités du parlement. Si oui en fonction de quelle législation ?

Les conditions de recrutement des agents de la fonction publique sont-elles les mêmes pour les bureaux des sénateurs et députés?

Le décret de 2004 créant l’ULCC, adopté à l’époque par un exécutif législatif, est contraire à la Constitution. (voir l’article 111 de la Constitution). Le monopole normatif n’appartient qu’au pouvoir législatif qui fait les lois sur toutes les affaires d’intérêt public. Ce décret cité ci-dessus fixant les attributions de cet organe de contrôle est placé sous la tutelle du ministère de l’Économie et des Finances.

Il s’ensuit que l’ULCC n’a pas de compétence pour enquêter sur les actes de gestion du bureau du Sénat de la république ni les employés qui y sont attachés. L’article 2 du décret en question dispose que l’ULCC a pour mission de travailler à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes ses formes dans l’administration publique.

Mais l’administration publique placée sous l’autorité du Premier ministre s’étend-elle au Sénat de la république puisque le Sénat et la Chambre des députés disposent de leur propre administration. L’administration publique dont il est question est celle placée sous l’autorité du Premier ministre. Il ne pourrait être autrement puisque les pouvoirs sont indépendants. L’État d’Haïti se manifeste à travers les trois pouvoirs.

Rappelons que l’administration publique est l’outil placé entre les mains des gouvernants, plus précisément du pouvoir exécutif, pour mettre en œuvre des politiques publiques par l’intermédiaire d’agents chargés de leur mise en œuvre en vue de la satisfaction des besoins des citoyens. Cette machine est placée sous l’autorité d’un Premier ministre investi de l’autorité de nomination et de révocation dans l’administration publique (article160 de la Constitution).

Je tiens à noter que les employés du Sénat, bien que rémunérés par le ministère des Finances et inclus dans le budget de l’État, ne sont pas nommés par le Premier ministre. Donc, comme je viens de l’indiquer plus haut, l’administration publique assujettie au pouvoir du Premier ministre est différente de l’administration du Sénat. Selon l’article 112 de la Constitution, chaque Chambre nomme son personnel au terme de ses règlements, fixe sa discipline et détermine le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. Elle précise à l’article 112-1 que chaque Chambre peut appliquer à ses membres pour conduite répréhensible, par décision prise à majorité des 2⁄3, des peines disciplinaires, sauf la radiation.

On peut dire de fait qu’il n’existe pas une fonction ou une administration publique parlementaire, les employés des deux assemblées parlementaires relèvent d’une catégorie à part d’agents publics ou fonctionnaires. La Chambre des députés et le Sénat sont dotés d’une administration qui leur est propre et échappe au contrôle hiérarchique du Premier ministre, chef du gouvernement. De même que les bureaux des sénateurs et les employés qui y travaillent ne peuvent être l’objet d’enquête de la part du directeur de l’ULCC, fonctionnaire placé sous l’autorité du gouvernement. Les conditions de recrutement de la fonction publique basées sur les critères de mérite et de compétence ne sont pas applicables aux agents travaillant dans le bureau des sénateurs et députés.

Le concours est la voie d’accès à la fonction publique. En revanche, les employés contractuels au bureau du Sénateur sont attachés à sa personne pendant la durée de son mandat. Ils ont été choisis sur la base de confiance, de fidélité et du crédit politique. Ce sont des critères subjectifs, des choix personnels et même tendancieux du sénateur sur lesquels le tribunal ne peut pas statuer. Le règlement du Sénat confère au sénateur le droit de choisir le gestionnaire de son bureau (article 26 du Règlement intérieur du Sénat). Comment doit-il procéder pour faire ce choix personnel? Aucune règle n’est établie. Dans ce cas, on ne peut parler ni de clientélisme ni de favoritisme encore moins de népotisme. Peut-on coincer le sénateur Youri Latortue alors que le contrat en question et les fonds qui lui ont été donnés ont été approuvés par la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) ? Pourquoi les sénateurs Joseph Lambert et Youri Latortue sont les seuls à faire l’objet d’enquête de la part de ULCC? Les bureaux des sénateurs et des députés et les fonds publics qui leur ont été alloués sont tous gérés de la même façon. La Cour des comptes et du contentieux administratif et le ministère de l’Économie et des Finances qui a émis des chèques au nom des proches des sénateurs, à partir des frais attribués à ceux-ci, ont tous admis ce mode de gestion en dehors des normes. Cette situation exige la création d’une fonction publique parlementaire soumise à des règles afin d’éviter toutes les dérives dans la gestion des fonds publics. En l’absence de ces règles, on ne peut pas parler de corruption au sens de l’article 5.4 de la loi portant prévention et répression de la corruption. Il n’y a pas d’infraction. Les articles 5-4 et 5.13 de la Loi de 2014 sur la prévention et répression de la corruption sont mal interprétés et ne peuvent pas s’appliquer au bureau politique du sénateur Youri Latortue. Ces articles sont utilisés hors contexte. Les sénateurs et députés sont des membres du corps législatif et non des agents publics. Le vocable d’agent public utilisé dans la Loi de 2014 en ce qui concerne les parlementaires ne correspond pas à celui utilisé par la Constitution. (voir les articles 114, 129, 129-1, 130, 131 de la Constitution). Les concepts de manière générale sont liés à une théorie, ou à la définition d’une institution. Ils ne sont pas interchangeables, au point d’utiliser l’un à la place de l’autre. Dans la tradition de common law, on désigne l’agent public tous ceux qui exercent une charge publique ou sont en position de pouvoir. Trop de “copy paste” brouillent la cohérence de notre système juridique national. Bref, la corruption est le fait de contourner et de détourner la loi. Si la règle n’est pas établie, on peut pas la contourner. Le fait de corruption ne peut alors être établi.

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L’ULCC ne peut enquêter sur les activités du Sénat que si elle y est habilitée par une règle de droit. L’ex Sénateur Joseph Lambert n’a pas posé des entraves à la justice au sens de l’article 21 de la loi portant prévention et répression de la corruption, en ne faisant pas droit à la requête du directeur de l’ULCC de mettre à la disposition de ce dernier les documents du contrat engageant la mère du Sénateur Youri Latortue, Madame Immacula Cantave comme gestionnaire de son bureau. L’ancien Président du Sénat, Joseph Lambert, avait bien agi. En effet, l’article 91 du Règlement du sénat prévoit que le Sénat de la République, dans le cadre de sa mission de contrôle qui ne souffre pas de restriction et de limite contrairement aux autres institutions de contrôle, peut être amené à questionner le Premier ministre, les ministres (y compris le ministre des finances dont dépend le directeur de l’ULCC), les directeurs généraux des ministères, et organismes décentralisés et autonomes. En clair, le directeur de l’ULCC n’échappe pas au contrôle du Sénat.

Quelle relation juridique existe-t-il entre l’ULCC et le Sénat de la République? Aucune! Les relations institutionnelles sont établies par la loi. Comment un fonctionnaire de l’Exécutif a-t-il pu s’adresser à l’autorité sacrée du Président du Sénat et de l’Assemblée nationale pour lui demander de mettre à sa disposition les documents du Sénat ? C’est la désacralisation de l’État! Dire que le directeur de l’ULCC peut enquêter sur les actes des parlementaires en fonction et du parlement, ou produire une telle demande auprès du Président du Sénat, c’est accepter qu’il existe un droit à l’incohérence. C’est offrir aussi la possibilité de remettre en question l’indépendance du pouvoir législatif par un agent du pouvoir exécutif.

Monsieur le Magistrat, je vous rappelle que le parlement est la première et la plus grande autorité de contrôle en Haïti (article 223 de la Constitution). Ce contrôle peut s’exercer de plusieurs manières : convoquer, questionner, interpeller le gouvernement, le révoquer (arts 129-2, 129-4) Cela signifie que dans notre régime politique défini par la Constitution de 1987, le gouvernement est responsable devant les autorités politiques du parlement. Pensez-vous réellement que le directeur de l’ULCC, placé sous la tutelle du ministre de l’Économie et des Finances peut mener des enquêtes sur les activités d’un membre du parlement dont le gouvernement en est l’émanation? Peut-il mener une enquête indépendante touchant les activités du ministre de l’Économie et des Finances? Alors qui contrôle qui? Le parlement contrôle l’action gouvernementale, l’ULCC contrôle les activités du parlement. C’est comme si l’ULCC était l’instance d’équilibre en matière de contrôle entre le pouvoir exécutif et le législatif? Ce serait une conception erronée du rôle du parlement en matière de contrôle et ses pouvoirs exorbitants que la Constitution lui accorde.

La faute aux constituants de 1987
Le troisième point, et le plus important, concerne le pouvoir exorbitant des parlementaires accordé par les constituants de 1987.

Le Sénat est l’une des deux branches du pouvoir législatif. Le Pouvoir n’a pas de supérieur. Il est admis que seul un Pouvoir peut juger un autre et cette responsabilité est reconnue à la Haute Cour de justice (article 185 et suivants). La Constitution de 1987 a prévu la mise sur pied d’un système dont sont justiciables les détenteurs du pouvoir d’État. Malheureusement, le parlement et les parlementaires ne sont pas comptables de leurs actes et de leurs manquements, et comme l’a relevé Dr Mirlande H. Manigat, constitutionnaliste et professeur de droit constitutionnel, les constituants de 1987 les ont parés de toutes les vertus civiques et du sens incontestable de leurs responsabilités. (Traité de droit constitutionnel, vol II ). L’historien Claude Moïse, professeur émérite de l’Université de Montréal, membre de la Chaire Louis-Joseph Janvier de l’Université Quisqueya, a fait le même constat. Le constitutionnaliste note que “le Sénat haïtien est doté de pouvoirs immenses comparables à ceux du Sénat américain. (voir l’article intitulé “sur la question constitutionnelle aujourd’hui, sous la direction du Dr Fritz Dorvilier, Dans l’amendement de la constitution de 1987, février 2012)

Votre ordonnance est juridiquement mal cadrée. Vous ne pouvez pas rendre faillible ce que la Constitution proclame infaillible. Car les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions jouissent de l’immunité juridictionnelle, sauf en cas de flagrant délit. (voir les articles 114-1 et 115 de la Constitution) Les parlementaires ne peuvent pas être poursuivis pour les actes qu’ils ont commis pendant qu’ils étaient en fonction et il est peu probable qu’ils le soient une fois qu’ils ont quitté le pouvoir. Les constituants de 1987 ont couvert les parlementaires de toutes ces garanties pour éviter qu’ils soient poursuivis par un exécutif autoritaire après la fin de leur fonction. Cette considération est à la fois politique et historique. Après des siècles de pratiques de pouvoir et précisément en Haïti, on s’est rendu compte que la dictature ne peut venir que de l’Exécutif, c’est pourquoi on a remplacé la traditionnelle toute-puissance du pouvoir exécutif par celle de l’État de droit. La méconnaissance de l’histoire est un obstacle à la connaissance du droit et à la connaissance tout court.

Honorable Magistrat, en clair, les actes des parlementaires sont des actes souverains. Ils sont donc intouchables. C’est peut-être une grosse légèreté de la part de nos constituants. Pouvoir veut dire responsabilité. Il n’est pas anormal que dans une démocratie encadrée par les principes de l’État de droit qu’une catégorie des détenteurs de pouvoir d’État ne soient pas responsables. Renvoyer les ex-Sénateurs Joseph Lambert et Youri Latortue devant les tribunaux pour être jugés est un acte abusif du point de vue de droit. Les actes posés par les parlementaires, quels que soient leur nature, dans l’exercice de leurs fonctions, jouissent de la présomption de légalité et de constitutionnalité. Ils ne « peuvent » pas commettre des actes de corruption. Une totale impunité leur avait été malheureusement accordée. Votre ordonnance manque de fondement juridique. La Constitution est la norme fondamentale et aucune autre norme ne peut la contredire. Le piteux décret créant l’Unité de lutte contre la corruption n’est pas supérieur à la norme fondamentale, laquelle structure l’ordre juridique national dont la Cour de cassation, en l’absence du Conseil constitutionnel établi par les amendements de 2011, doit en assurer la cohérence.

On ne peut juger les anciens sénateurs Joseph Lambert et Youri Latortue pour les actes qu’ils posent dans l’exercice de leur fonction. Toute poursuite devant les tribunaux de droit commun pour forfaiture et malversations, à l’exception des actes personnels, est nulle. Les parlementaires haïtiens sont, selon la Constitution de 1987, des êtres infaillibles. Cette infaillibilité dans l’exercice de leur fonction conduit, en fait, à une totale impunité, c’est une réalité, car les parlementaires ne sont astreints à aucun type de contrôle. De plus, ce sont les Assemblées parlementaires qui accordent décharge aux membres de leurs bureaux. Cela signifie qu’aucune autre instance n’est investie du pouvoir de contrôler les actes des parlementaires.

La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) est le bras technique du parlement. Étant sous la dépendance politique du parlement, elle n’a pas le pouvoir d’enquêter sur les actes des parlementaires. D’ailleurs tous les juges de cette instance de contrôle sont élus par le Sénat et justiciables devant la Haute Cour de Justice. (articles 186 et 200-6 de la Constitution). Tous les responsables et dignitaires de l’État sont justiciables devant la Haute Cour de justice, sauf les parlementaires. C’est une situation à corriger dans le cadre de la réforme constitutionnelle que souhaitent beaucoup de secteurs de la vie nationale. On fabrique et on adopte beaucoup de textes pour prévenir et réprimer la corruption mais le texte constitutionnel n’a pas changé. Tant qu’on ne le corrige pas, les parlementaires garderont leur privilège d’impunité. C’est une dure réalité à admettre.

Certains auraient préféré que je n’aborde pas cette question et laisser passer le mensonge sur la réalité de notre droit constitutionnel. Je crois avoir fait œuvre utile en essayant d’apporter une parole professionnelle. C’est le rôle même de la doctrine de tester le droit dans son élaboration aussi bien que son interprétation que dans son application. Le débat est déclenché au-delà du travail de l’honorable juge Marthel Jean Claude.

Loin d’être une perte de temps, cette lettre apporte quelques enseignements. La pire perte de temps, ce serait de se taire face à ceux qui s’opposent à la réalité et à la vérité et qui, de surcroît, veulent imposer leurs croyances, leurs stupidités, leurs illusions comme étant vraies. On doit cesser de laisser dire ou concevoir n’importe quoi !

En ce qui me concerne, je m’accroche à ma mission sociale, mon devoir à la fois intellectuel et citoyen. La meilleure façon de l’acquitter, c’est de dire le droit tel qu’il est, sans complaisance mais toujours avec le risque de me tromper de bonne foi. La science elle-même est un exercice de tâtonnement. C’est de cette façon que je crois pouvoir rendre service à la société. Et je me réjouis d’entrer dans cet espace interdit de critiques et de vérités dissidentes. C’est la seule façon de faire sortir le plus grand nombre de l’indigence intellectuelle, de combattre le fascisme de l’ignorance et d’éviter une justice de faussaire, incapable d’aboutir à la réconciliation et d’instaurer la paix.

Il va de soi que chaque juridiction demeure libre de formuler ses conclusions. Mais j’espère sincèrement que les juridictions supérieures apporteront la correction nécessaire dans la première œuvre pour le bien de la justice. C’est donc dans l’intérêt de l’édification de notre État de droit que gouvernants et gouvernés soient tous soumis au droit et à la loi et que la justice doit être une question de vérité et d’équité.

Respectueusement,

Sonet Saint-Louis, professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique à la Faculté de droit de l’Université d’État d’Haïti.
Faculté de droit, Port-au-Prince, 28 juin 2023.
sonet.saintlouis @gmail.com
Tél : 44073580.

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