POLITIQUE

Éléments de contestation et de révision du cadre d’intervention de l’ONU en Haiti

D’entrée de jeu, je tiens à rappeler que je ne suis pas le plus légitime pour faire le procès de l’ONU car c’est ma foi dans le multilateralisme qui m’a poussé à entamer des Études de Relations Internationales en Haïti et en Espagne . Sans oublier cette année je me suis retrouvé sur la short list des Nations Unies pour intégrer le siège de l’une de ses agences.
Aujourd’hui encore je suis sur le point de boucler mes études de Master à Sciences Po en France avec une spécialité en Politique et Pratique des Organisations Internationales.

Je suis de ceux qui croient qu’aucun pays ne peut fonctionner en autarcie car même la Chine qui est en train de contester l’ordre mondial a bénéficié grandement de l’aide des institutions financières internationales à la 2e moitié du xx e siècle et également de la coopération des pays comme la Russie et ceux du bloc occidental ,tout en gardant bien sûr leur autonomie pour prendre leur place au rang des grandes puissances .

Je tiens à rappeler aussi que je me retrouve aujourd’hui dans une position délicate in m’inscrivant dans cette démarche car grâce au support de l’Etat français j’ai pu réaliser des études en Grande Ecole dont les droits d’inscription annuels sont de 5000 E. De plus, mes formateurs dans le cadre de mon parcours d’études sont pour la plupart des responsables d’importants organismes internationaux intervenant en Haïti dont Action contre la faim ,Médecins du monde… également diplomates accrédités auprès des missions de France .

Toutefois étant attaché à mon pays , Haiti ,où la communauté internationale, via l’ONU, intervient depuis plusieurs années sans donner de résultats concrets sur le long terme; il est de mon devoir de tirer la sonnete d’alarme et d’inviter les acteurs internationaux à se ressaisir face à une nouvelle demande d’intervention armée transmise par le gouvernement de facto.

A- la demande illégitime du gouvernement de facto

En temps normal selon l’agenda de l’ONU les dirigeants des États doivent puiser leur légitimité d’élections régulières.
Dans le cas d’Ariel Henry , on pourrait comprendre la situation car il y avait crise ,il fallait trouver une issue .Toutefois malgré son illegitimité ,il s’est contenté du support du core group ans entamer les démarches nécessaires pour parvenir à un accord global avec les secteurs organisés du pays autour de son projet politique.
Il est une évidence que sans élections et consensus minimal avec la société civile ,le gouvernement d’Ariel Henry est illégitime et ne peut engager le pays dans voies hautement politiques qui touchent directement à la souveraineté du pays .

Toute acceptation de la demande de Ariel Henry par l’ONU risque de légitimer un pouvoir arbitraire en Haïti où un individu n’ayant ni mandat ni support de la population joue à la fois le role de Président et de Premier Ministre .

Je me rappele que la CI avait fixé un délai à Ariel pour entamer les démarches devant aboutir à un accord inclusif duquel émergera un gouvernement où sont représentées les forces vives de la nation en vue de faciliter l’organisation des élections et le rétablissement de la sécurité dans le pays.
Il est clair aujourd’hui qu’ Ariel Henry montre son échec ,son incapacité à dépasser les contradictions et à faire face aux défis de l’heure .

Donc ,La CI ne devrait en aucun cas accepter la demande de Ariel Henry sans lui contraindre à parvenir à cet accord inclusif car ,il n’a ni autorité ni qualité pour adresser une demande internationale d’une telle ampleur au nom du peuple haitien qui ne lui a pas mandaté.

B- la CI doit s’attaquer aux problèmes par la source

Aujourd’hui de nombreux travaux scientifiques montrent que l’ONU a échoué dans de nombreuses missions de maintien de la paix et state building dans le monde .

En Haïti où l’organisation intervient depuis début 1990 ,aujourd’hui encore la démocratie, l’état de droit ,la sécurité restent une utopie .
Il est clair qu’il y a un problème d’approche car au cours des opérations on a l’impression que les objectifs sont atteints alors qu’après le départ des troupes elle ne fait qu’empirer.
Donc il est nécessaire d’attaquer le problème par la base .
1) la sécurité

a) Dans le cas d’Haïti, les nations unies se sont toujours contentées à envoyer des soldats dans le pays sans songer à construire des capacités locales pour faire face elles mêmes aux problèmes.

Dans l’histoire politique récente d’Haïti l’une des fois où la PNH a été efficace c’était au cours du mandat de la MINUSTHA. cette dernière avait de l’équipement et de la technique pour soutenir la force locale dans ses opérations .

Toutefois l’ONU n’a pas pensé à renforcer la PNH en lui donnant les moyens de sa politique . Après le départ de la mission,la pnh n’a hérité de rien en terme d’équipement et d’expertise. Aujourd’hui encore face à la résurgence de l’insécurité ,la présence de l’étranger se fait sentir . Et vous savez pourquoi ?
Parceque volontairement ou involontairement on a fait le choix de ne pas doter la pnh de moyens de travail pour mener à bien sa mission ; ce qui crée la dépendance envers l’institution internationale( ONU).

b) l’ONU dans sa mission de maintenir la paix en Haïti peine à adopter des mesures efficaces et efficientes à faibles coûts nécessitant moins de ressources.
L’entretien des forces armées internationales coûtent à la CI de fortes sommes alors que d’autres solutions peinent à être envisagées.

Par exemple dans le cas d’Haïti, nous savons tous que Haïti ne produit ni armes ni minutions . Donc ces dernières proviennent directement de l’étranger.
Dans ce cas les pays amis d’Haïti devraient ,en premier, s’engager à interdir tout transfert d’armes à des fins privées en Haïti et renforcer le contrôle au niveau de leurs douanes pour éviter tout risque de contrebande.

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Ce qui empêchera sans nul doute aux bandits de s’alimenter et de réduire leurs capacités de nuisance et de résistance. Une fois l’armement est sous contrôle de l’administration policière d’Haïti, les bandits n’auront plus la même capacité, la même force de frappe et se trouveront en situation de faiblesse . Ce qui donnera à la PNH une très large supériorité.

C) Des études internationales ont montré que les bandits en Haïti sont protégés par les acteurs politiques et membres du secteur privé. J’ai moi même travaillé sur un cas d’étude en rapport avec Haïti avec un expert international où on a pu voir que l’insécurité est source de profits en Haïti et constitue une base de consolidation du pouvoir. Les criminels qui sont protégés par des gens mieux placés sont légitimés dans leurs fonctions en ayant l’assurance que la police est impuissante face à eux car des acteurs du système les protègent.

A ce sujet j’ai appris que la CI a exigé du gouvernement de facto la liste des acteurs qui sont en collision avec les gangs en Haïti. Cela m’a fait rigoler parceque cette même CI selon ces données et enquêtes réalisées ont les noms de tous ses acteurs . Cette démarche est entachée d’hypocrisie.

La meilleure chose à faire effectivement si l’on veut éradiquer les gangs en Haïti c’est de s’attaquer à leurs sources,leurs patrons et protecteurs .
En mettant hors d’état de nuire ces parlementaires, ministres ,hommes d’affaires qui alimentent et créent de nouveaux groupes armées pour des intérêts inavouables et inavoués ;cela déstabilisera ce marché en Haïti et contraindra les criminels à rétracter.

Donc si une force armée étrangère arrive en Haïti, elle aura à combattre les gangs pendant des mois et années ensuite après leur départ ces mêmes acteurs vont armer d’autres jeunes et la situation reviendra comme avant.
Encore une fois il faut s’attaquer au problème par la base

C- le projet de démocratisation d’Haiti

Depuis plus de 30 ans la CI s’investit dans la démocratisation d’Haïti. De fortes sommes sont investies à travers les représentations des pays supposés amis d’Haïti pour supporter les gouvernements ,organiser des élections…

Là encore l’approche est maladroite. Je ne suis pas en mesure d’affirmer si c’est volontaire ou pas car dans la sociologie des OI nous savons que l’ONU a de nombreuses faiblesses dues à sa forte bureaucratisation et un grand amour pour l’approche par le haut ( top down) qui ne concorde pas souvent aux réalités du terrain.

Toutefois, je peux affirmer que les acteurs internationaux savent très bien quelle est l’approche la mieux appropriée car l’un des intellectuels qui a fait une excellente critique sur la démocratie, Seymour lypset est américain et ils ont appliqué ces principes dans leurs pays .

Dans son analyse il a montré que la démocratie ne peut se réaliser sans la prise en compte du volet socio économique.
En ce sens , des éléments fondamentaux doivent être réunis pour espérer accoucher la démocratie dans une société :
1) éducation : l’éducation est nécessaire car c’est elle qui permet aux individus d’être en mesure de déterminer ce qui est bien pour eux . Un peuple non éduqué n’a aucune connaissance de ses droits devoirs et responsabilités.

2) la mobilité sociale : l’individu qui est né à cité soleil de parents chômeurs ou ouvriers doit pouvoir accéder à un statut professionnel et évoluer socialement et économiquement dans ka société . Lorsqu’il est condamné à reproduire le mode de vie de ses parents il est possible qu’il devient un élément dangereux pour la société. Regardez bien ce qui se produit dans les gethos avec les jeunes qui n’ont d’autres alternatives qu’intégrer un gang

3) accès aux ressources et égalité de chances : il est nécessaire que des jeunes, des gens de différentes classes sociales puissent avoir accès aux ressources (capitaux)et autres pour investir dans des projets .
Les sociétés financières ne devraient pas être réservées qu’aux gens d’une seule classe en excluant les ti pyè , ti jozèf…
Sans ces éléments là et d’autres la démocratie est une utopie car il ne suffit pas d’organiser des élections. Les problèmes sociaux, structurels doivent être abordés.

Somme toute ,j’invite les acteurs internationaux à analyser avec prudence la demande du gouvernement du pm de facto et de revoir également leur mode opératoire en Haïti.

L’approche adoptée depuis plus de 30 ans ne permet pas à Haïti d’accéder à l’autonomie au contraire elle renforce sa dépendance : sécurité( force armée internationale), santé ( OMS ,ONG) , alimentation ( PAM, ONG ) alors qu’ Haïti a tous les potentiels pour se nourrir et même d’exporter à l’étranger.

La CI doit déployer également des efforts en Haïti pour renforcer les capacités des regroupements de jeunes et de femmes car sans l’émergence d’une nouvelle élite ,la situation ne va pas changer .

C’est l’occasion pour la CI de montrer que le multilatéralisme a encore sa place dans ce monde marqué par la montée en puissance du chauvinisme .

Enfin, je tiens à souligner qu’Haïti a besoin d’une coopération basée sur la durabilité non sur l’urgence ou l’humanitaire même si je suis conscient aussi sans un chef d’Etat visionnaire et indépendant on y parviendra pas.

Politologue Mathias L.DEVERT
MS Sciences Po Grenoble
mathiasdevert@gmail.com

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