POLITIQUE

L’autopsie de la mauvaise gouvernance d’Haïti durant les 35 dernières années

La conquête du pouvoir politique, aujourd’hui, oppose deux catégories d’acteurs. Les vieux briscards qui continuent d’occuper et sous différentes formes, le devant de la scène depuis la chute de la dictature et les jeunes loups, opportunistes assoiffées de pouvoir et d’argent. Les premiers, à tort ou à raison, perçus comme l’obstacle principal â l’émergence de jeunes leaders, sont constamment agressés, dénoncés et vilipendés, à travers les medias et réseaux sociaux. Ces novices de la politiques, s’estimant seuls capables de relever les défis de la mauvaise gouvernance rendue responsable de la dégradation des conditions sécuritaires et socio-économiques du pays, orchestrent une campagne malsaine de dénigrement contre tous ceux qualifiés de politiciens traditionnels, d’incompétents, de défenseurs du système et des oligarques corrompus. Ils doivent, en conséquence, s’éclipser, pour faire place nette a une nouvelle génération de politiciens constituée de jeunes leaders politiques, d’opérateurs économiques et de membres de la diaspora.

Certains autres aspirants, connus pour leur implication directe dans tous les coups-bas contre la constitution et la démocratie, dans la manipulation des jeunes, à travers des organisations-bidons de dénonciations de la corruption ou de promotion des droits humains, se convertissent, sans aucune gêne, en de vils laquais, pour certaines ambassades étrangères. Ils s’attribuent la tâche ignoble d’identifier leurs potentiels concurrents pour les livrer à la vindicte de leurs tuteurs internationaux. Une simple annonce d’un dirigeant étranger, annonçant des sanctions unilatérales contre tel ou tel citoyen haïtien équivaut, pour ces renégats, à une mise à mort politique ou à la déchéance de l’ensemble des droits civils et politiques garantis par la Constitution du pays. Quelle aberration ! Autrement dit, les Poutine, Biden, Assad, Ibrahim Raïssi, Maduro, Ortega, Trudeau, Zelenski, Macron, leurs proches collaborateurs, alliés et membres de leurs familles ne seraient plus Présidents, Premiers Ministres ou des citoyens honorables et respectés dans leur pays. Chacun d’eux, pour leurs propres motifs politiques ont eu, vice et versa, à annoncer des sanctions unilatérales l’un contre l’autre. Qui s’aviserait d’oublier que Arafat, Mandela, Nahendra Modi, Kagame, Gustavo Petro étaient listés et sanctionnés, comme des terroristes internationaux, par ces mêmes pays avant qu’ils aient eu à accéder au Pouvoir dans leur pays et redevenir des dignitaires honorables et fréquentables

Les politiciens traditionnels

Les acteurs politiques qui ont occupé le devant de la scène au cours des années qui ont suivi la chute du régime des Duvalier sont, aux yeux des nouveaux ambitieux du pouvoir des politiciens traditionnels. La mauvaise gestion du pays, au cours des trente dernières années, leur être à tort imputée. S’il est vrai que ces derniers n’ont jamais véritablement formulé une offre politique sérieuse, lors des campagnes électorales, pour sortir le pays du cycle de la pauvreté dégradante, il faut reconnaitre qu’a l’exception du professeur Manigat, comme chef de parti politique qui, à travers sa percée louverturienne, a fait une petite et incertaine excursion au sommet de l’Etat, aucun vrai politicien n’a jamais eu à obtenir les faveurs du peuple pour présider aux destinées du pays. Un petit survol dans la galerie des chefs d’Etat, dans l’Haïti de l’après Duvalier, atteste la présence de deux généraux de l’armée, un chef de parti, quatre magistrats, un prêtre catholique, un cadre du secteur public et trois personnalités sans affiliation politique réelle.

La grande majorité des chefs de gouvernements, appelés à seconder ces chefs d’Etat, pour la plupart des novices ou de simples opportunistes politiques, n’étaient pas mieux dotés de compétence ou d’expérience pour conduire avec toute l’efficacité requise l’action gouvernementale. L’inventaire, des vingt-trois (23) personnalités ayant servi au poste de Premier Ministre de 1988 à la date du jour, révèle que seulement six (6) ont eu, avant leur nomination, l’opportunité d’occuper une fonction dans le secteur public. Les Premiers Ministres, comme pour les Présidents, provenaient tous en dehors des cercles politiques et administratifs et sont à leur toute première expérience dans la gestion des affaires de l’Etat. Le décompte affiche qu’ils sont au nombre de 4 médecins, 2 juristes, 3 agronomes, 2 ingénieur, 2 économistes, 3 hommes d’affaires, 2 fonctionnaires locaux et 2 fonctionnaires internationaux à avoir servi comme chef de gouvernement. Comment s’étonner que le pays soit, en matière de gouvernance, dans cet état moribond ?

Emergence d’une nouvelle classe politique

Le pays, en effet, a besoin d’un nouveau. L’émergence d’une classe politique ne peut plus attendre. Toute une cohorte de politiciens et d’opérateurs politiques se doivent de se rendre à l’évidence que le moment est venu pour eux de jeter le tablier et permettre à une nouvelle génération de faire ses preuves. Leurs vociférations constantes dans les medias et leur implication directe dans tous les mouvements de déstabilisation que le pays a connus au cours des 20 dernières années ne peuvent plus continuer voire à se transformer en offre ou projet politique. Les partis, particules, organisations politiques qu’ils prétendent représenter ont été à la base de toutes les coalitions politiques et de tous gouvernements formées pendant cette longue période de transition démocratique.

Ils ont roulé leur bosse dans différentes formes de coalitions politiques (Groupe 57, Front National pour la Concertation et la Démocratie (FNCD-LAVALAS), Alliance Nationale pour la Démocratie et le Progrès, (ANDP) OPL-BO TAB LA, Espace de Concertation, Convergence démocratique, Alternative démocratique, aujourd’hui Groupe des signataires de l’accord du 31 janvier, Accord Montana, PEN, MOPOD, Fusion etc.). La seule motivation de ces leaders politiques, sans vision et sans programme, c’est d’avoir leur mot à dire dans les discussions avec la communauté internationale et maintenir leur place permanente sur l’échiquier politique.

Les jeunes loups à l’assaut du pouvoir

Au tout début des années 80, la timide opposition contre le jeanclaudisme a été rejointe par le professeur Hubert Deronceray. L’agronome Edouard Berrouet, duvaliériste notoire, pour ridiculiser ce soudain et opportuniste volte de face d’un fils authentique du régime, écrit dans les colonnes du Nouveau Monde « Tu quoque Hubert » « Ou menm tou Hubert ou nan opozisyon ». Quel salmanaza ! Ti Mesye e Medam 2000 yo met dlo nan divin nou. Yo wè anba nou. Nou pa pi bon pase peson. Nou pa gen oken chanjman nou vle pote. Nou bezwen pouvwa pou nou fe kob tankou sa nap repwoche yo.

Oh non ! La débâcle actuelle est loin d’être de la seule responsabilité des politiciens traditionnels, des éléments du système, tel qu’on cherche à le caricaturer. Les jeunes et surtout ceux des 20 dernières années étaient omniprésents tant dans les mouvements de déstabilisation que dans la gouvernance du pays. Ils sont passés de l’opposition radicale avec le groupe 184 aux principales avenues du pouvoir. Ils sont devenus Présidents des chambres législatives, Premiers Ministres, ministres, Secrétaires d’Etat, Directeurs généraux, sénateurs, députés, ambassadeurs, consuls, conseillers aux cabinets des présidents, des premiers ministres et de présidents de chambres etc. Ils étaient, pour la plupart, âgés entre 30 et 35 ans. Le cas le plus notoire est celui de cette compatriote nommée Ministre en 2011 alors qu’elle n’avait pas encore atteint l’âge de 30 ans requis par la Constitution pour occuper un tel poste. Les noms sont là ! Personne ne peut tromper personne.

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Les nombreux scandales éclatés au parlement et dans la diplomatie haïtienne à cours des dix dernières années du régime PHTK attestent éloquemment que la motivation des jeunes était loin de servir la République et d’assurer une bonne gestion des affaires de l’Etat, mais plutôt de jouir leur part du gâteau de la corruption. Ce que bien sûr, ils reprochaient aux politiciens traditionnels. D’ailleurs certains grands ténors de cette jeunesse, non seulement, ont participé au démantèlement des institutions républicaines, au pillage des fonds publics, au trafic illicite des stupéfiants et des armes de guerre, mais aussi, sont les principaux responsables de la prolifération des gangs armés à travers le pays.

La diaspora comme sauveur d’Haïti. Quelle hérésie !

La diaspora haïtienne, bien avant la chute du régime des Duvalier, était omni présente dans la politique haïtienne. Les membres de cette communauté haïtienne vivant hors du pays étaient, tantôt des exilés politiques, des exilés pour faire de l’espionnage politique, des opposants politiques connus, tantôt appelés pour être Ministres, Ambassadeurs, conseillers au cabinet du Président, Directeurs généraux et aussi fonctionnaires dans l’administration publique. Se considérant comme plus instruits, plus fortunés, plus honnêtes, plus intègres, que ceux restés au pays ils se positionnaient en donneurs de leçons. Le pouvoir politique leur revient de droit. Ainsi s’explique cette prolifération des partis politiques et cette multiplication de candidats à la présidence, à chaque compétition électorale. Ils veulent être Présidents, Premiers Ministres et Ministres mais ne sont pas disposés à rester vivre au pays et n’entendent pas se séparer des passeports étrangers ou des cartes de résidence étrangères en leur possession et encore moins se priver des privilèges que leur offre leur pays d’accueil. C‘est Michel Martelly lui-même qui a vendu la mèche. Apres avoir nommé nombre de membre de la diaspora, détenteurs par naturalisation de nationalités étrangères, a des postes ministériels et diplomatiques, s’est même permis, en réactions aux manifestations de rues de l’opposition, d’affirmer qu’il dispose d’un autre pays pour vivre, si cette dernière décide de tout casser au pays.

Le sort d’Haïti est de la responsabilité exclusive des haïtiens

Personne n’est dupe. Aucune des ambassades étrangères, se déclarant pays amis d’Haïti, et aucun des secteurs vitaux de la société ne peuvent se prévaloir ou se dédouaner de leur part de responsabilité dans le déclenchement et la persistance de cette décente aux enfers de notre chère Haïti. Qui oserait oublier cette déclaration de Denis Paradis, secrétaire d’État du Canada pour l’Amérique latine, l’Afrique et la Francophonie, publiée dans le Journal de Montréal du 15 Mars 2003 « Il faut renverser Aristide. Et ce n’est pas l’opposition haïtienne qui le réclame, mais une coalition de pays rassemblée à l’initiative du Canada ! ». Parmi les convives de Denis Paradis, réunis sur les bords du Lac Meech dans le Parc Gatineau à Ottawa, on retrouvait les représentants de l’Organisation des États américains (OEA), de la Commission économique européenne (CEE) et de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, le ministre français de la Coopération, Pierre-André Wiltzer et deux fonctionnaires de haut rang du département d’Etat américain.

En effet, le 29 février 2004 Aristide a été renversé. Les assaillants ou rebelles, formés d’anciens membres des Forces Armées d’Haïti dissoutes, placés sous le commandement de Guy Philippe un trafiquant de drogue notoire, étaient mandatés pour mener une opposition armée contre le gouvernement. Les assauts de ces derniers étaient dirigés contre les commissariats de Police qu’ils attaquèrent et incendièrent. Leurs responsables et leurs agents étaient contraints à la désertion ou étaient sommairement exécutés. La vie nationale était complètement paralysée avec le blocage de la circulation sur les principales routes nationales. C’est dans cette circonstance qu’un Président démocratique élu et jouissant d’une incontestable popularité a été renversé et contraint à l’exil.

Au lendemain du jour du départ d’Aristide, l’armée canadienne, en compagnie des armés américaines, françaises et chiliennes, a débarqué et occupé le pays jusqu’à l’arrivée de la MINUSTHA qui est restée près de 14 années dans le pays. Quel est le résultat de cette mise sous tutelle annoncée et exécutée à l’initiative du Canada. Le Canada, loin d’identifier des acteurs politiques qui ne marchent pas dans ses visées hégémoniques et chimériques, comme boucs-émissaires, et se poser en donneur de leçons ou de sanctions, se doit de reconnaitre ses erreurs et assumer sa part de responsabilité dans le démantèlement des institutions républicaines et la prolifération des gangs armés dans le pays.

En somme, l’une des principales causes de l’état actuel de notre pays, c’est justement le fait qu’il a été au cours des 30 dernières années, sous contrôle et gouverné par des affairistes, des opportunistes, des papas toudenkou, sans aucune expérience managériale et sans aucun sens de l’Etat. La principale source de cette instabilité chronique que vit le pays, tant au niveau politique qu’institutionnel, est le résultat de la présence au plus haut sommet de l’Etat de dirigeants venus de nulle part et sans aucune expérience politique et administrative. La conduite de l’action gouvernementale est la première à en pâtir de cette instabilité. On compte neuf (9) Premiers Ministres de 2011 à 2023, à se succéder à la Primature sans tenir compte de ceux nommés pour combler les intérims ou ceux dont la nomination n’a pas été validée par le Parlement. Ces derniers sont au nombre de huit (8).

Comment vouloir changer un système, sans connaitre son organisation, sa structure et son mode de fonctionnement mais surtout les principes qui le régissent. Haïti notre terre, notre patrie appartient à nous tous. Elle n’est la chasse gardée d’aucun Messie, d’aucun Prophète, d’aucun Désigné d’office, jugé seul apte à le diriger, par une quelconque Ambassade étrangère. Son avenir, son destin nous concerne tous. Cette tribune se veut, d’emblée, une réponse à cette forme caricaturale d’exclusion et de division de la société haïtienne savamment concoctée et entretenus dans des laboratoires clandestins pour continuer à violer en toute impunité les droits et aspirations légitimes du peuple haïtien à vivre comme des êtres humains.

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