POLITIQUE

Le Dessalinisme, une doctrine justifiant l’impératif d’appartenance à un Nous qui n’exclut aucun citoyen haïtien

L’assassinat du 17 octobre 1806 mettrait fin à un projet politique en exécution, selon des historiens, des idéologues, et des historiens idéologisés. Mais, quel projet politique ? Ceux qui se soumettent à cette idée seraient convenus qu’il faut chercher la certitude de la réponse dans les actes de décisions administratives et législatives pris par l’empereur. Certains protagonistes font passer Dessalines pour un socialiste, mais sans qu’il ait été un penseur du socialisme. D’autres veulent le voir comme un pionnier dans la promotion de l’état de droit dans une Amérique qui fut encore colonialiste et esclavagiste. Cependant, la logique historiciste de toute analyse sur la période du règne dessalinien nous fait hésiter à nous jeter dans un anachronisme idéologique. Vu que les idéologies renvoyant au socialisme et à l’état de droit ont un avènement qui date d’une chronologie post-dessalinienne. Alors, comment rester dans une démarche de cohérence, et reconstituer les faits d’une période de gouvernance politique nationale, selon les principes de l’objectivité historique ? Sans omettre de considérer les différentes mémoires construites d’une même historicité de la société haitienne.

Dessalines est paradoxalement fondateur d’un État qui sera un empire jusqu’au 17 octobre 1806. En tout cas, sans autres nobles dans son palais à la capitale Marchand, il s’est fait maitre incontesté et incontestable dans la gestion des affaires de l’État, avec des ministres qui devaient suivre ses ordres à la lettre. Cependant, le droit naissant et légitimant de ce nouvel État était anti-esclavagiste, anticolonialiste, et antiségrégationniste, et créait l’être humain et le citoyens réels. Nature d’un État juridique et politique qui dépassait les limites des interprétations racistes de la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, et celles de la déclaration de l’indépendance des États-Unis. En effet, après la prise de la Bastille, la monarchie royale en agonie qui deviendra la République de la Marseillaise et les colonies anglaises du Nord du sous-continent qui seront les treize États d’Amérique ne bannissaient pas l’esclavage et ses tares comme des faits illégaux, et donc contraires aux droits de l’être humain et du citoyen. L’africanisme et l’indianisme ontologiques chez Dessalines le rendaient plus moderne que les hellénistes et les occidentaux qui s’inspiraient des Lumières qui ont été eux-mêmes les héritiers de l’hellénisme.

Dans la nouvelle République, baptisée République de Nègres par l’esprit de la constitution du 20 mai 1805, tous les êtres humains qui souffraient de l’esclavage dans le monde y avaient le destin de devenir des nègres libres avec la nationalité haïtienne. On retrouve un peu du Pangloss, noir philosophe, qui fut un personnage du roman Zadig de Voltaire, chez Dessalines. Il n’y a pas de lois qui doivent priver un être humain d’être libre et heureux de son existence (politique). Donc, c’est la naissance d’un système juridique qui défendait la dignité comme principe de la définition de l’être humain, excluant toutes les formes d’exclusion, et qui précédait l’esprit de la déclaration universelle des droits de l’homme de L’organisation des Nations Unies (ONU), laquelle déclaration a inspiré les idées de l’avènement de l’État de droit, définissant l’individu par le respect et la promotion absolus des droits qui font de lui un citoyen protégé contre toutes les menaces de violation.

Mais, la liberté n’est un bien qui procure le bonheur que si elle s’accompagne de droits sociaux et économiques. C’est pourquoi les idéologues dessalinistes se complaisent à rappeler que Dessalines signifiait la liberté comme une situation consubstantielle au bien-être économique. Les revendications des affranchis pendant la période coloniale, et le mouvement pour les droits civiques et sociaux des noirs américains après l’abolition de l’esclavage d’Abraham Lincoln en sont des faits très illustratifs. Aussi, n’avait-il pas suffit de proclamer l’indépendance pour la jouissance de la liberté qui fut un acquis de plusieurs années de soulèvement des esclaves. Mais aussi un acquis de l’affranchissement général, comme effet de l’expression du leadership noirs dans le camp des futurs nouveaux libres. Les conceptions sur les formes que devaient avoir les propriétés foncières s’affrontaient. La guerre du sud pour le contrôle du pouvoir comme garantie de l’organisation et du monopole du contrôle de la production économique, et des privilèges qui devaient en découler, et l’affaire Moise comme fait d’exclusion des blancs de l’accès aux biens et de justice louverturienne, en furent des expressions illustratives assez logiques pendant la période de Toussaint Louverture. La réforme agraire de Dessalines devait faire ressurgir la dualité entre deux projets politiques qui opposaient les nouveaux et les anciens libres, et qui attestait l’idée de l’association de la liberté au bien-être économique de ceux et celles qui ont la jouissance de celle-ci. Cependant, le caporalisme agraire  favorisait l’état et les élites foncières composées de mulâtres et de généraux noirs. Ces mêmes élites qui ont fait de Dessalines le fusible d’une lutte dans laquelle elles s’étaient engagées pendant tout le dix-neuvième siècle.

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Mais la question historique qui doit être posée sur le drame du Pont Rouge est celle-ci : pourquoi il n’y a pas eu de soulèvement à la mort de Dessalines que l’on voudrait être le leader des masses, et le premier socialiste haïtien, selon les historiens idéologisés et les idéologues de politique économique, fondement des décisions de la gouvernance politique ?

Or, dans les faits historiques d’identification politique à un personnage politique, la logique de l’impératif de l’appartenance que le leadership d’un homme inspire aux masses implique toujours que sa mort ait  une fonction funéraire pour dynamiser les luttes de revendication, quand celle-ci est le résultat d’un coup politique du camp ennemi que l’on exclut toujours du Nous que l’on se représente comme un collectif idéal. Même si les assassins de l’empereur demeuraient les héritiers d’une indépendance qui les invitaient toujours à fortifier l’union du congrès de l’Arcahaie contre la menace néocolonialiste et pour la construction du bien-être économique de la nation dont ils étaient et seraient les membres historiques et légitimes.

Certes, la signature par ces généraux comploteurs du document intitulé « Résistance à l’oppression », n’expliquaient point que Dessalines n’ait pas été vengé pour avoir été le promoteur d’un projet de société égalitariste, favorisant la jouissance des droits inclusifs et communs à tous. Mais, la centralisation du pouvoir politique dans une capitale éloignée des autres divisions militaires de l’empire, et qui dispensait le chef d’état d’avoir un regard sur les modes de gouvernance locale et régionale, ne devait pas faciliter la conscientisation populaire des masses de cultivateurs sur ses intentions, et qui se plaignaient du caporalisme agraire. Le caporalisme agraire ayant été perçu par ceux-ci comme un mode de contrôle social sur la production économique centralisée qui leur rappelait le système esclavagiste anéanti par treize années de guerre héroïque et sacrificielle. Tandis que les faveurs accordées par l’empereur à certains acteurs proches du pouvoir, et les actes de corruption non sanctionnées qui le faisaient passer pour un complice d’une partie de la classe des mulâtres de l’ouest et du sud, auraient été au nombre des causes de cette indifférence vis-à-vis d’un acte barbare sur ce fondateur glorieux. La vérification des titres de propriété dont le but était d’augmenter le domaine foncier public et de mettre fin au mode faussaire d’acquisition foncière par certains mulâtres, ne s’inscrivait pas dans la vision d’un minifundisme, comme revendication des masses aspirant à la petite propriété, celle-ci devant leur rappeler le modèle de production agricole et familiale des villages africains. Modèle que le représente le Lakou décrit par Paul Moral dans « Le paysan Haïtien » et « L’économie paysanne », Rémy Bastien dans « Le paysan et sa famille ».

Les propos historiques de Dessalines en faveur des masses de cultivateurs sans terre ne se sont jamais accordés à des faits administratifs et législatifs, et demeuraient comme le discours d’une bonne intention. La politique se fait aussi avec de bonnes intentions que justifient des actes qui demandent du temps et de la collaboration. Ce que l’assassinat organisé et exécuté au lendemain d’un couronnement impérial n’a pas favorisé. Donc, la perception des historiens et des idéologues qui reconstituent la gouvernance politique et économique de Jena Jacques Dessalines comme l’idéologie « dessalinisme », par l’analyse de certains actes de décision administrative et législative, n’a pas été la même chez les masses des cultivateurs illettrés. Aussi, faut-il convenir que le dessalinisme est devenu un projet politique, idéologique, économique des penseurs qui essaient de comprendre les idées en soubassement des actes et décisions de ce gouvernant qui ne s’inspirait d’aucune idéologie et d’aucune science sociologique ou politique préétablie par les écoles de pensées de la philosophie politique. Voilà pourquoi le dessalinisme n’est pas de l’interprétation historienne du passé d’un mode de gouvernance. Mais, il s’agit plutôt de l’usage d’une interprétation de la mémoire qui fait intervenir les faits déformés par les idéologies, les passions, et surtout les intérêts sociaux et économiques. Mais, ne serait-ce pas rendre justice aux indiens et africains massacrés par la colonisation, et aux paysans et aux masses urbaines tués par les élites infâmes que de construire la mémoire de la gouvernance dessalinienne en dessalinisme, idéologie du progrès politique, économique, et social ? N’est-ce pas aussi avoir un bon prétexte de la mémoire en histoire pour construire un état de droit en Haïti ? À cette journée de commémoration de la mort de l’Empereur vénéré par tous les leaders du progrès dans l’histoire du monde, nous devons oser répondre à ces interrogations en toute fierté…Comme la fierté qu’exprime la réponse des populations de Ouanaminthe à la République Dominicaine.

Le 17 octobre 2023

CHERISCLER Evens

Journaliste et enseignant

Osons défendre ce qui est juste au regard de l’histoire d’Haiti !

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