SOCIETE

Entre Russie, Chine, Taïwan et États-Unis : Haïti doit-elle faire un mariage d’amour ou de raison ?

Tout État définit sa politique étrangère en fonction de ses intérêts nationaux, ses choix géostratégiques, enfin au regard de ses préoccupations internes et de la volonté politique de ces gouvernants tout en tenant compte de l’aspiration de sa population.

Haïti, étant un pays faisant partie de la communauté internationale, considérant son passé historique, a toujours opté pour une politique étrangère dite « politique d’entraide » dont le but principal était de soutenir des pays-frères à se libérer du joug esclavagiste. Ce fût le cas avec les pères de la patrie. D’abord avec le généralissime Jean-Jacques Dessalines et son soutien logistique à son Miranda. Du Président Pétion et de son support à Bolivar. De l’aide qu’Haïti a accordé à la Grèce pour vaincre l’empire Ottoman au 19ème siècle. Et dans les années 60 par l’envoi d’enseignants haïtiens en terres africaines pour la formation académique de nos jeunes frères nègres qui venaient tout juste de se libérer des chaînes coloniales.

Les temps ont changé ; et Haïti n’est plus en mesure de prendre des initiatives spectaculaires similaires sur la scène internationale. Comme on le dit souvent : la politique interne d’un pays à des répercussions sur sa politique étrangère. Le monde a changé et Haïti doit prendre en compte cette nouvelle dynamique géopolitique. Nous ne sommes plus dans un monde post-guerre froide où il y avait une seule puissance mondiale qui dictait au reste du monde, la route à suivre. 

Le Covid-19 a montré au monde qu’il fallait compter avec l’empire du milieu car ce dernier s’est mieux rétabli que d’autres États de la communauté internationale. Nous ne pouvons pas aborder le sujet de la République populaire de Chine sans une rétrospection dans son passé historique. 

Jadis, ce fût le centre du monde. Il fût la première puissance mondiale pendant vingt-quatre (24) siècles consécutifs. C’est le pays par excellence de Confucius, de Sun Tzu (l’art de la guerre). Ils sont à la base de plusieurs   découvertes prodigieuses telles que la poudre à canon, le papier-monnaie, le fusil…etc. Ce pays qui a sorti plus de huit cent (800) millions de personnes de l’extrême pauvreté en moins de cinquante (50) ans et qui depuis 2013, avec sa nouvelle route de la soie, compte comme l’un des plus grands actuellement en termes de puissance économique et militaire. 

Les relations haitiono-taiwanaises remontent en 1956, date à laquelle nous avons établi des relations diplomatiques avec cette île rebelle, faisant partie intégrante de la République populaire de Chine. Ce choix, nous l’avions fait tout en tenant compte du monde de l’époque caractérisé par la guerre froide dont l’alignement sur un bloc était monnaie courante.  Haïti a reconnu Taïwan en tant que la seule et unique Chine, malgré que la polarisation des puissances d’alors qui comptaient l’URSS et les États-Unis. Or, la République populaire de Chine, à travers sa diplomatie, n’entretient aucune relation diplomatique avec des pays qui reconnaissent la souveraineté de Taïwan, dont nous, Haïti.                 

Considérant que nous vivons plus dans un monde bipolaire ou unipolaire, la diplomatie haïtienne doit s’intégrer dans cette nouvelle  donne d’où la nécessité de reconnaître la souveraineté du la République populaire de Chine sur Taïwan car, au regard de la montée  en puissance de l’empire du milieu, de sa puissance économique mondiale, il est dans intérêt du peuple haïtien d’engager des  relations diplomatiques avec la Chine et de négocier avec elle, puisqu’elle est en position de force tant par notre position géostratégique.  

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Haïti a un coup à jouer ; considérant que les nouvelles routes de la soie peuvent lui être bénéfiques sur le plan économique. C’est un choix qui s’impose. Cependant, certaines décisions de politiques étrangères d’un gouvernement exigent préalablement qu’il jouisse d’une légitimité politique pour pouvoir mener à bien des négociations de grandes ampleurs. Par contre, vue la proximité qui existe entre Haïti et son grand voisin les États-Unis d’Amérique, avec qui nous avons beaucoup de liens tels que des milliers de ressortissants et beaucoup d’échanges, il nous faut évaluer plus de cent cinquante (150) ans de relations diplomatiques haitiano-américaines, maintenir ce qui marche et modifier ce qui ne marche pas. En considérant la doctrine de Monroe du 2 décembre 1823 et le corollaire de Théodore Roosevelt, pour une fois Haïti doit se passer de ces pactes impérialistes en prenant comme boussole l’intérêt supérieur de son peuple. 

Vue la situation chaotique d’Haïti actuellement, la communauté internationale a les yeux rivés sur elle et la fédération de Russie qui est l’un des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, manifeste son intérêt pour apporter son aide au rétablissement du climat sécuritaire haïtien.  Nous devons comprendre que la démarche russe n’est pas dépourvue d’intérêts car en relations internationales, les pays n’ont pas d’amis mais que des intérêts. Se basant sur l’un des principes sacro-saints de la diplomatie russe qui est la persévérance pour atteindre un objectif à moyen ou à long terme jamais à court terme, cette parade est un moyen pour eux de jouer dans le pré carré américain. Car la Russie, étant l’un des plus virulents contestataires de l’hégémonie américaine dans le monde, trouve à travers Haïti une possibilité de jouer un coup. La position à prendre par Haïti doit compter aussi le fait que depuis plus d’une décennie, beaucoup de compatriotes haïtiens se rendent en Russie pour leurs études universitaires. Il s’est donc formé une diaspora qui y grandit. 

Pour mieux contrebalancer la puissance américaine, nous devons établir des relations diplomatiques avec la Russie car c’est dans notre intérêt et celles des ressortissants haïtiens en Russie ; et qu’ensuite nous pouvons tirer des avantages de par leur savoir-faire tant sur le plan sécuritaire et militaire.                

Considérant les liens historiques indéfectibles qui nous lient aux américains, la nouvelle donne géopolitique fait que pour une fois nous ne devons plus agripper la diplomatie haïtienne aux États-Unis par rapport à nos priorités divergentes sur de nombreuses questions ; et tenant compte du sentiment anti-américain qui se développe dans une bonne frange de la population haïtienne. Il est dans l’intérêt américain de laisser Haïti prendre seul le chemin de son destin pour une fois en plus de 150 ans de relations diplomatiques.

Wilfrid JOSEPH

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