POLITIQUE

Lettre ouverte à l’honorable sénateur Rony Mondestin

Monsieur le Sénateur,

Beaucoup d’acteurs importants de la société haïtienne ont partagé le voice que vous m’avez envoyé sur la situation actuelle à cause de la vérité qu’elle dégage. Les citoyens sont à la recherche d’une parole à la fois crédible et légitime et c’est ce qui explique que votre intervention tourne en boucle sur les réseaux sociaux.

Dans ce message, vous avez essayé comme tant d’autres de renouer la nation avec l’analyse objective. Le temps n’est pas à la complaisance mais à la démystification et la déconstruction pour ne pas commettre la grande erreur de renouveler la défaillance à la direction du pays. Nous devons préparer l’avenir dans les mauvais comme dans les bons temps.

Je vous remercie pour votre perspicacité, votre savoir immense, votre honnêteté. Ce n’est pas la vérité qu’on dévoile qui fait mal à la nation mais les mensonges qu’on cache.

Vous l’avez dit et je le crois, ce n’est pas un comportement patriotique de faire opposition à un gouvernement provisoire. Un gouvernement de transition n’a pas de vie. Une transition a une limite dans le temps. C’est la démocratie qui a un temps long et qui doit demeurer.

Comme vous, je n’ai nullement l’intention d’être en opposition avec un gouvernement provisoire. Nous n’avions pas fait opposition au gouvernement d’Ariel Henry. Moi personnellement j’ai décidé de le combattre quand j’ai réalisé que le Premier ministre voulait faire un mandat présidentiel de cinq ans sans avoir été mini d’un mandat populaire. À ce moment, j’avais réalisé qu’il n’était plus dans la mission d’un gouvernement de transition, il fallait donc l’arrêter.

Je reste dans la même logique. Je ne ferai pas opposition à cette nouvelle gouvernance à la tête de laquelle se trouve un banc présidentiel qui est contraire à l’esprit du texte fondateur de 1987 qui prévoit une gouvernance à deux têtes. Nous créons un mélange explosif à dessein. Mais l’heure approche où le pays connaîtra un moment de bascule, et le cataclysme n’est pas loin.

Mon diagnostic est que la crise est fondamentalement politique. La constitution n’y est pas, pour répéter, Me Bernard Gousse. Comment appliquer la Constitution de 1987 pour résoudre cette crise politique quand toutes les institutions républicaines, démocratiques créée par elle pour sa mise en œuvre n’existent pas ou sont dysfonctionnelles? Si la crise est fondamentalement politique, il s’agit de se demander comment trouver une formule qui nous permettra de retourner à l’État de droit en évitant tempêtes et ouragans?

La première tempête a été de créer un Conseil présidentiel de transition, une institution sui generis, disons spéciale, particulière, désagréable, comme l’a si bien écrit le Dr Fritz Dorvillier, par décret pris en Conseil des ministres et un arrêté nommant ses membres. Une telle institution née à la suite d’un coup de force, comme je l’ai dit, s’installe elle-même. La Constitution ne peut pas aider dans cette circonstance, comme l’a fait voir l’éminent professeur et recteur de l’Université Quisqueya, Jacky Lumarque.

Sur le plan strictement constitutionnel, la Constitution interdit même à un président élu de gouverner par décret. Qu’est-ce qui donne alors la compétence à un Conseil des ministres de facto de le faire? L’ Etat est un ensemble de procédures, comme l’a fait remarquer le professeur Guichare Doré.

À l’égard de l’État, le Premier ministre détient le pouvoir réglementaire en sa qualité de Chef de l’administration publique (art 159 de la const). Il peut prendre un arrêté, acte administratif, soit pour fixer une règle à portée générale, soit pour nommer un fonctionnaire. Le Conseil présidentiel n’ est pas l’administration publique. C’ est une instance politique.

Le Conseil des ministres ne peut pas être à la fois l’autorité de nomination du Conseil présidentiel et son égal ou son remplaçant. C’est pourquoi, ce concept de passation de pouvoir lié au principe de l’alternance politique pratiqué dans les démocraties libérales ne convient pas pour faire cette transition de pouvoir. Il aurait été plus correct de parler de proclamation pour rester dans le caractère spécial et exceptionnel de cet événement. L’actualité récente nous donne un modèle de proclamation, celui qui avait été par le Général Henry Namphy le 7 février 1986.

Il paraît en effet utile de souligner que le Président de la république n’est pas nommé mais élu au suffrage universel direct ( voir les arts 134 et 149 de la const). Donc, le pouvoir exécutif ne peut pas décider par décret. Les autorités exécutives en Haïti n’ont pas ce pouvoir. En Haïti, c’est le pouvoir législatif qui édicte des lois sur tous les objets d’intérêt public (art 111 de la const). Ce pouvoir absolu est établi en faveur du pouvoir législatif en matière de fabrication des lois. C’ est une sorte de légicentrisme. Une anomalie à corriger mais cela demeure encore le cas. La constitution prévoit des cas où l’ on peut prendre des décrets (voir les articles 40, 159, 188-1, 276-1, 293, 297 de la const).

Le Conseil présidentiel connaîtra-t-il les difficultés de fonctionnement à l’instar de son ancêtre le Haut Conseil de Transition (HCT) à la tête duquel se trouve la professeure de droit constitutionnel Dr Mirlande Manigat?

Je dois vous dire que Mirlande Manigat toute déterminée, a été bouffée par une classe politique, à gauche comme à droite, qui lui était hostile pour les raisons évidentes. Elle a échoué, dit-on, une nouvelle déroute de l’intelligence qu’on admet avec sourire et joie. Hier n’a pas changé aujourd’hui. La lutte contre l’excellence continue.

Les médiocres demeurent des médiocres dans tout sauf dans les intrigues, les manipulations, les coups bas, les injures, les intimidations uniquement dans le but de rester au-devant la scène politique. Nous sommes malheureusement en train de tout rater à cause de notre proximité avec la vengeance, parce que nous n’arrivons pas à nous depouiller de la haine ; on sait combien celle-ci est destructrice. Un ami s’est adressé à moi pour me demander où en sont Madame Manigat et son HCT? C’est une façon de me dire que le Conseil présidentiel entre dans la maison et elle doit quitter les lieux. C’est la politique du bannissement et de la destruction. Mais pour quel résultat?

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Le Conseil présidentiel entre en scène. Cette nouvelle instance apporte une forme hybride à l’État qui est à la fois public et privé. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la privatisation de l’État d’Haïti. Des organisations patronales et de la société civile sont logées à la tête du pouvoir exéutif. Quelle est donc la frontière qui existe entre l’État et la société civile? Comment peut-on expliquer que des entités privées défendant des intérêts privés siègent au CPT, lequel a vocation de défendre l’intérêt général? L’État devient-il un marché non concurrentiel?

Pourquoi donc concevoir une telle instance conflictuelle au sein de l’État où chaque entité qui la compose (partis politiques, société civile, patronat ) a vocation de défendre les intérêts politiques et économiques de ses membres? Un mélange explosif qui annonce une défaite. Les premières défaites, comme l’a rappelé Marc Bloch, le fondateur de l’École des Annales, sont toujours intellectuelles.

En effet, le premier souci d’un gouvernement de transition est d’être neutre. En 1986, le Général Namphy avait déclaré qu’il n’avait pas d’ambition politique. Ce message était destiné aux partis. C’était une façon de les rassurer de la crédibilité du processus électoral dans lequel ils devaient s’engager. Comment donc assurer la crédibilité du prochain scrutin avec un Conseil présidentiel qui est à la fois juge et partie dans le processus électoral?

Je pense que la seule manière pour sauver ce qui est en cours est d’exclure les partis politiques dans la formation du gouvernement. Il nous faut un Premier ministre de consensus neutre, qui aura la tache de former un gouvernement de technocrates.

Pourquoi la formule de la Cour de cassation, bien que politiquement précaire serait mieux?

La Cour de cassation est la seule instance étatique qui serait en mesure d’assurer la neutralité de la transition. L’histoire récente milite en faveur de cette instance étatique (1990 avec la Juge Ertha Pascal Trouillot et 2006 avec le Juge Alexandre Boniface). Tout n’était pas parfait mais un réel effort a été fait pour crédibiliser les élections.

On admet tous que l’article 149 dans la version amendée du texte constitutionnel de 1987 ne confère pas de rôle politique à la Cour de cassation en cas de vacance présidentielle.

Cela dit, la Constitution est une unité. En tant que Loi suprême, elle a une cohérence comme toute Loi. L’article 58 inscrit la fonction du juge dans la souveraineté nationale. Ce qui fait que le pouvoir judiciaire, joint aux deux autres, assure l’unité de la souveraineté nationale. La souveraineté est un concept politique encadré par le droit constitutionnel. Tout pouvoir est politique.

En l’absence des pouvoirs exécutif et législatif, éminemment politiques, considérés comme légitimes et démocratiques, le pouvoir judiciaire, est seul apte légitimement à assurer le pouvoir dans la perspective d’un retour à la normalisation de la vie démocratique du pays.

Le recours à la Cour de cassation pour prendre le pouvoir est donc légitimement et démocratiquement fondé. Cette formule a une base constitutionnellement fondée. Le citoyen est la clé de voûte de notre État qui est une république démocratique dont le pouvoir judiciaire en constitue un pilier qui trouve sa source dans le Souverain. Donc, aucun groupe, aucune entité n’est mieux placée que la Cour de cassation pour prendre le pouvoir en Haïti dans les circonstances actuelles.

Aussi crédible que soit notre argumentation concernant le recours à la Cour de cassation elle ne va pas sans laisser quelques problèmes. Comment en effet contenir la soif et répondre à l’appétit démesuré de nos politiciens?

Par patriotisme et sens de l’humanité, je dis que si c’est cette instance hybride qui permettra aux Haïtiens de respirer, alors mettons-la place rapidement. Il s’ agit donc de sauver des vies.

Honorable Sénateur,
J’ aime vos analyses. Ne soyez pas découragé ! Prenez de nouveaux risques pour Haïti. Cela vaut la peine!

Ma mère, Madame Louis Saint-Louis, née Maricile ulysse, au dernier jour de sa vie, serrant ma main sur son lit de mort, m’avait dit, mon fils ne désespérez pas ! Je crois que la renaissance d’un peuple, la rédemption, la délivrance d’une nation commence au-delà même du désespoir. Prenez soin de la patrie comme Dieu a pris soin de nous, disait le philosophe anglais Francis Bacon. Alors, si l’intérêt commun n’est pas au centre de nos politiques, alors je dis qu’en ma qualité de philosophe, il y a quelque chose d’humain qui nous échappe.

L’émotion encore vivante de cette scène d’adieu avec ma mère me pousse à vous dire la même chose: ne désespérez pas ! Le pays aime vos analyses, allez-y, Sénateur ! Prenez de nouveaux risques, ça marchera ou alors, il faudrait désesperer du pays.

Avec mon plus profond respect.

Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l’Université d’État d’Haiti
21 avril 2024
Tel 44073580
sonet.saintlouis @ gmail.com

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